Aux origines de la rédaction du traité modificatif, dit Traité de Lisbonne
Le Groupe Amato : une initiative privée au chevet des institutions européennes
- Patrick Gatines / janvier 2009 -
Lien avec le site de l’ACED/Groupe Amato
A l’été 2006 se met en place très officieusement un curieux attelage qui se nomme lui-même Action Committee for European Democracy (ACED/Comité d’Action pour une Europe Démocratique, dont le site internet est hébergé par le Centre Robert Schuman), mandaté par qui, on ne sait trop et chargé de rédiger un « modèle de nouveau traité », titre de leur rapport final.
D’après Jan Quatremer, dans un article publié dans Libération du 23 septembre 2006 et intitulé « Rome au chevet du malade », le président de la Commission José Manuel Barosso, en aurait connu l’existence par Danuta Hübner, sa commissaire chargée des aides régionales et ex représentante de la Pologne à la Convention, conviée à intégrer ce groupe de réflexion composé de 16 membres, 8 de droite et 8 de gauche, dont les deux ex Vice Présidents de la Convention, de membres de son praesidium et de la Convention, de commissaires européens, d’un représentant du Parlement Européen, le tout panaché de quelques actuels ou anciens ministres des Etats-membres de l’Union Européenne. Les fonctions multi –casquettes passées ou présentes de nombre d’entre eux assurant toute possibilité de réalisation du dit attelage.
Une composition dont on ironise à Bruxelles. Jan Quatremer rapporte : « Cela fait reconstitution de ligue dissoute. » ironise-t-on dans l’entourage de Barroso » ou encore : « Il ne manque plus que Valery Giscard D’Estaing et on refait la Convention » poursuit-on à la Commission. »
Toujours est-il que ce staff non officiel de 16 personnalités se donne pour mission de fournir une mouture simplifiée du Traité Constitutionnel rejeté officiellement par référendum par la France et les Pays Bas et afin donc aussi que le projet d’Angela Merkel de sortir l’Europe de l’ornière du Traité Constitutionnel puisse se réaliser durant la présidence allemande.
Lien avec l’article intégral de Jean Quatremer
Mais qu’est-ce donc que l’ACED ?
Sur son site, l’ACED se présente lui-même ainsi : (Passages soulignés par mes soins)
« Le Comité d’Action pour la Démocratie Européenne est une initiative privée et indépendante de citoyens européens visant à sortir de l’impasse où se trouve l’Union Européenne après deux votes négatifs sur le Traité Constitutionnel.
Certains de ses membres ont occupé ou occupent encore de hautes fonctions. Les membres du groupe désirent contribuer à l’émergence d’un consensus sur des dispositions institutionnelles plus efficaces et légitimes, qui sont nécessaires pour l’Europe du 21ème siècle.
Le projet de l’ACED a été rendu possible grâce à une donation de la Robert Bosch Stiftung (Fondation Robert Bosch).
Le Centre Robert Schuman accueille les activités de l’ACED qui correspondent avec ses contributions de longue durée sur le débat concernant la réforme du Traité de l’Union Européenne. »
Traduction : Stéphane Gez
Remarques & analyses :
1) On apprend donc là que le processus de relance du Traité Constitutionnel Européen, rejeté par les citoyens de deux pays membres et fondateurs de l’Union Européenne, soit une institution multilatérale qui représente la puissance publique européenne et dans laquelle les citoyens des Etats membres élisent des députés et où leurs Chefs d’Etats et Ministres siègent dans ses institutions, et bien oui nous apprenons que c’est une initiative privée et non officielle, financée par des fonds privés, qui détient l’initiative de sortir les institutions européennes de l’ornière dans laquelle elles se trouvent.
2) On apprend également que le financeur de l’opération « sauvetage du TCE », et donc de l’ACED, est la Fondation Robert Bosch, à vocation philanthropique certes, mais fondation aussi d’un type un peu particulier (et ce n’est pas la seule) dans la mesure où après quelques recherches on s’aperçoit qu’elle est actionnaire à 92% de la Robert Bosch Gmbh, société Allemande non cotée en bourse et qui est le plus gros équipementier automobile mondial et emploie 251 000 employés pour un chiffre d’affaire de 42 milliards d’euros !
(Sources financières : sites de l’ACED (hébergé par le Centre Rodert Schuman for Advanced Studies) et de la Robert Bosch Foundation)
3) On découvre donc conjointement que cette fondation étant d’origine allemande et que la présidence allemande de l’Union (assurée par Angela Merkel) ayant pour mission officiellement de remettre en route le processus de ratification du traité, une préparation en amont à vraisemblablement été effectuée à son initiative. En effet, si les travaux de l’ACED ont commencé en septembre 2006, pour se terminer le 4 juin 2007 (date de remise officielle du rapport de l’ACED, la présidence allemande de l’Union s’est effectuée durant le premier semestre 2007. Gouvernement allemand dont Jan Quatremer dans son article (opus cit.) nous dit qu’ « elle était très impliquée dans cette initiative » (la mise en œuvre du Groupe Amato, ndlr). Ainsi la présidence allemande et Madame Merkel ont-elles pu s’honorer de cette mission : en élaborant une « initiative privée », financée par des fonds privés émanant d’une fondation allemande détenant 92% du capital du plus gros équipementier automobile mondial!
Où est la séparation des pouvoirs privés et publics dans le montage d’une telle stratégie de relance ?
On rappelle que le « but du jeu » était de donner un nouveau fonctionnement institutionnel à l’UE, et beaucoup plus, d’élaborer un traité qui de surcroît traite de nombre de questions économiques de première importance ; comme le TCE, dont il est pour l’essentiel un remontage.
Ainsi financé par des fonds privés, le Comité d’Action pour une Europe Démocratique, groupe de 16 personnalités qui s’est réuni du 30 septembre 2006 au 4 juin 2007, était ainsi composé :
Giuliano Amato – Président du groupe - ex vice Président de la Convention, désigné par le Conseil européen de Laeken (2001)
Jean-Luc Dehaene - ex vice Président de la Convention (désigné par le Conseil européen de Laeken (2001)
Michel Barnier – ex représentant de la Commission européenne au Praesidium de la Convention
António Vitorino - ex représentant de la Commission européenne au Praesidium de la Convention
Sandra Kalniete – Ex membre de la Convention, représentante du gouvernement Letton
Wim Kok
Inigo Mendez de Vigo – Ex membre du Praesidium de la Convention, représentant le Parlement Européen et membre du Bureau de la Convention pour la Charte des Droits Fondamentaux.
Espagne, Parti Populaire Espagnol
Un des 70 eurodéputés membres du Transatlantic Policy Network
Comme au Praesidium de la Convention,Parlement Européen et ses plus de 700 élus des citoyens des Etats- membres est toujours représenté par un membre du TPN, composé à cette date, je le rappelle, de 25 firmes des Etats-Unis et de l’Europe, de vingt réseaux d’influence, de 45 sénateurs et membres du Congrès des Etats-Unis et de 70 eurodéputés (60% de droite, 40% de gauche)(composition 2006)
Danuta Hübner – Ex membre de la Convention
Margot Wallström
Lord Patten of Barnes
Dominique Strauss-Kahn
Stefan Collignon
Paavo Lipponen
János Martonyi
Otto Schily
Costas Simitis
La réécriture, comme ont peut donc le constater, était dans de bonnes mains pour que s’élabore une proposition de texte respectant le Traité Constitutionnel Européen dans « la substance » ! En effet les conditions mises en place par la composition même du Groupe Amato – dit « Comité d’Action pour une Europe Démocratique » satisfaisait à deux principes :
1) Un principe de continuité avec la Convention et surtout avec son praesidium, puisque l’on trouve dans ce groupe : Les deux ex vice Présidents de la Convention et 3 ex membres du Praesidium, ainsi que deux ex membres de la Convention.
2) Un principe de continuité dans la pratique collusive, se déclinant en deux volets :
a) Par des réseaux d’influence qui pilotaient déjà les travaux de la convention au sein de son praesidium.
C'est-à-dire par Friends of Europe (FoE) et le Transatlantic Policy Network (TPN).
En effet FoE compte pas moins de 6 représentants dans ce staff de 16 personnalités soit 38% des membres : Giuliano Amato (président du groupe et vice président de la Convention), Jean Luc Dehaene (second ex vice président de la Convention), Michel Barnier, encore lui (ex praesidium), alors conseiller de Nicolas Sarkozy pendant la campagne présidentielle et qui devint son Ministre de l’agriculture – rappelons que le groupe Amato s’est réuni du 30 septembre 2006 au 4 juin 2007, soit pendant la campagne électorale en France, et enfin trois autres membres de FoE, Antonio Vitorino (ex praesidium), Sandra Kalniete (ex Convention) et Wim Kok.
Le TPN lui ne compte qu’un seul représentant au groupe Amato, mais c’était le seul qui y représentait le parlement européen en la personne d’ Inigo Mendez de Vigo (ex praesidium convention/EPP-ED) . Ainsi le TPN fort de ses 70 eurodéputés (9,5% des effectifs du parlement européen) s’octroie t-il ici une représentativité de… 100%, encore une fois, comme au praesidium de la Convention, mais cette fois avec un seul membre.
En sus de ces deux réseaux-pilotes, on remarquera la participation de ces 16 membres du Groupe Amato à une bonne quinzaine de réseaux d’influence : Fondation Ditchley (G. Amato et Lord Patten of Barnes), Policy Network (G. Amato et DSK), European Policy Centre (dont le président est Peter Sutherland - président honoraire du TPN), Centre for European Reform (dont Peter Sutherland est membre du Conseil d’administration), International Crisis Group, Institut Aspen France (présidé par Michel Pébereau /BNP Paribas), Madariaga foundation, l’IRIS, Nouvelle République, le Cercle de l’industrie, etc..
Notons pour finir, la présence d’une ancienne membre de la Commission Trilatérale et de plusieurs membres ayant participé aux réunions du Groupe de Bilderberg, dont le président est le même que celui de Friends of Europe, à savoir Etienne Davignon.
Bref une structure d’influence en réseau à la fois collusive, opérationnelle (FoE et TPN) et très intégrée à l’influence européenne, transatlantique et mondiale.
b) Par le poids des financements privés de Bosch et des partenaires financeurs de FoE et du TPN :
Pour FoE, il s’agit de 42 firmes globales membres dont : Exxon Mobil, Areva, British Petroleum, British Telecom,Cargill, Coca Cola, IBM, Intel, Microsoft, Pfizer, Shell, Sony, Toyota ou encore Unilever, tous « Amis de l’Europe ». Rappellons aussi que FoE bénéficie aussi du soutien financier de la Commission Européenne.
Pour le TPN, 40 firmes globales membres, dont : ABB, Accenture, Basf, Bayer, Boeing, British Petroleum, British Telecom, Coca Cola, Daimler Chrysler, Deutch Bank, Dow Chemical, General Electric, Honeywell, IBM, Merck, Michelin, Microsoft, Nestlé, Oracle, Pfizer, Roll Royce, Siemens, Teléfonica, Time Warner et encore Unilever ; tous aussi amis transatlantiques de l’Europe.
Toutes firmes soucieuses, on s’en doute, de financer des réseaux d’influence promoteurs d’une Europe sociale…
Faut-il en déduire pour autant que le projet de traité remis par le Groupe Amato sous le nom de « Modèle de nouveau traité » a été rédigé sous l’influence directe de telles firmes ? Non, sans aucun doute, comme pour la rédaction du Traité Constitutionnel Européen, nous sommes là aussi dans un dispositif d’influence intégrée dont les élites, pour qui il va de soi que la somme des intérêts privés des firmes fait l’intérêt général, sont le nœud collusif. Elites qui de plus ne supportent les processus d’élaboration d’idées et de décisions que dans l’entre soi.
La démocratie n’est alors vue dans un tel dispositif que comme un problème technique à résoudre, dans la tradition de théoriciens de la psychosociologie étasunienne des années 20, tels que Walter Lippmann (cf « Public Opinion » en 1922 et « The Phantom Public » en 1927) et Edward Bernays (« Propaganda, ou comment manipuler l’opinion en démocratie » en 1928) , tous auteurs influents, le premier co fondateur du Council On Foreign Relations et qui a conceptualisé l’opinion publique comme une conscience citoyenne in abstacto, formalisée par des élites éclairées (auto déclarées dépositaires a priori de l’intérêt général), opinion publique manipulable à merci par elles pour le plus grand bien du citoyen irresponsable.
Bernays, partant lui du principe que les dirigeants institutionnels et entrepreneuriaux ont un devoir de préserver la Démocratie contre les élans du peuple citoyen, allant jusqu’à imaginer et à penser les termes d’un nécessaire « gouvernement invisible » reposant sur les principes de Lippmann - qui est une de ses grandes influences - et ce pour le plus grand bien de la Démocratie. Ainsi écrivait-il en 1928 :
« La manipulation consciente, intelligente, des opinions et des habitudes organisées des masses joue un rôle important dans une société
démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible (1) qui dirige véritablement le pays. »
Edward Bernays – Propaganda, comment manipuler l’opinion en démocratie -1928 – Ed Zones La Découverte - Réed. 2007
(1) Bernays théorise par la suite dans son ouvrage ce « gouvernement invisible » pour le nommer « service des relations publiques », organisme dont il est l’inventeur et le conceptualisateur et dont se sont dotés aujourd’hui à la fois les grandes entreprises et firmes globales, les organismes d’Etats, les partis politiques, etc…
Rappelons aussi que Bernays, grand théoricien inventeur des services de relations publiques donc, a aussi travaillé pour la CIA et pour la Standard Oil.
Et c’est parce que c’est sur la base de ces idées que se sont créés non seulement le Council on Foreign Relations mais aussi la noria de réseaux d’influence et de think tanks notamment après 1945 – voir « The Crisis of Democracy » / Rapport de la Trilatéral Commission édité en 1975 - idées formant progressivement idéologie, et idéologie gagnant aussi la pléthore d’organisations multilatérales à partir de cette même date, que s’est formé à la fois un nouvel espace sociologique pour les élites, leur offrant tous horizons pluriels de carrières privées et publiques réglées par le jeu des chaises musicales, mais aussi un corpus idéologique et culturel reposant sur le principe messianique du dirigeant éclairé. Dirigeant qui je le rappelle est beaucoup plus dirigeable qu’il ne le croit, parce que peut-être trop gonflé, imbu de lui-même, trop intelligent pour être influençable … et donc constitue un gibier de choix pour réseau d’influence. Car à ce jeu là il en est toujours pour penser qu’il en est de moins éclairés que soi à des postes clés et qui mériteraient un supplément de lumière discrètement orientée. A ce jeu là aussi la distinction fondamentale en démocratie entre choséité publique et privée, entre intérêt général et intérêt particulier se perd rapidement, tout comme celle entre droite et gauche politique. Seul reste l’espace politique et stratégique des élites d’où les processus démocratiques se trouvent anecdotisés et repoussés à la marge et le peuple réduit à l’opinion publique : son double abstrait fait pour le confondre, et où il finit par se confondre lui-même.
Il se pourrait que le peuple citoyen disparaisse par oubli de lui-même, à trop se regarder dans ce qui lui semble lui ressembler : l’opinion publique, subterfuge auquel il est toujours invité. Il se pourrait que le citoyen finisse comme spectateur du jeu politique, tel est à mon sens le désir inavouable de la démocratie collusive : un démos sans son cratos. Tel était le sel de l’allocution télévisée de Nicola Sarkozy le dimanche 10 février 2008, comme signature aussi du « petit gouvernement indicible » Amato, aux travaux pourtant décisifs dans le processus d’élaboration du Traité de Lisbonne.
Tout comme le dit Sun Tzu, « L’art de la guerre est l’art total du mensonge », il se pourrait bien que la Guerre des idées qui sévit à notre époque procède du même genre d’art mais sur des bases non létales. Le peuple en serait alors la première victime, dupé et perdu à n’en plus finir dans l’insondable des sondages, de leurs analystes et aruspices, dans les méandres discrets de l’élaboration des idées et de leurs laboratoires furtifs, et surtout dans ceux de la culture politique captivante et captive qui en découle et ainsi distillée.
« Captiver, c’est déjà capturer » dit aussi Paul Virilio et je tiens que la neutralisation du peuple souverain est la finitude de la société du spectacle politique. Voilà ce que je nomme Démocratie corruptive : l’avènement d’un nouveau genre de régime politique qui trouve sa substance dans la corruptio : « altération de la substance par décomposition » acception apparue en 1170, nous dit le Robert.
Voilà, Monsieur Valéry Giscard d’Estaing, la véritable « substance » du Traité de Lisbonne :
l’altération de la substance démocratique par décomposition du lien entre Elites et Citoyenneté.
Quelle est donc la part du « Modèle de nouveau traité » remis le 4 juin 2007, réalisé par le Groupe Amato / Comité d’Action pour la Démocratie Européenne officiellement-officieux, dans le Traité modificatif ?
Claude Layalle & Robert Joumard (de la Commission Europe d’Attac), dans un texte intitulé : « Le Comité d’action pour la démocratie européenne ou ACED et le Traité modificatif européen », paru le 13 novembre 2007 sur le site d’Attac France, se sont livrés à ce redoutable et difficile exercice. Leur lecture comparée est la suivante, je la livre telle quelle ci-dessous :
« Le projet mis au point par ce groupe de politiciens s’intitule "modèle de nouveau traité". Ce traité reprend les parties I et IV du Traité instituant une Constitution pour l’Europe (TCE), et notamment les principales innovations institutionnelles. La Charte des droits fondamentaux (partie II du TCE) est introduite par le biais d’un article. Les modifications que l’on trouvait dans la partie III du TCE sont transformées en amendements au traité sur l’Union européenne (TUE) et au traité instituant la Communauté européenne (qui prend le nom de "Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne" ou TFUE dans le Traité modificatif européen). Ces amendements sont introduits par le biais de deux protocoles, l’un (annexe 2A) introduit les modifications institutionnelles dans le (futur) TFUE, tandis que le second (annexe 2B) introduit les politiques dans le TUE et le TFUE.
Après consolidation, l’Union serait donc gouvernée par ces deux traités et la Charte.
Ce traité, écrit ainsi que ses protocoles en français, apparaît au premier abord comme particulièrement court (70 articles, 50 pages, 12 800 mots), correspondant à peu près à ce que proposait le candidat Sarkozy pendant sa campagne électorale, en reprenant les principales modifications institutionnelles du TCE (présidence stable de l’Union, création d’un poste de ministre européen des Affaires étrangères, et extension du vote à la majorité qualifiée au Conseil).
Mais finalement, quand on inclut les deux protocoles, on retrouve l’intégralité du TCE et l’intégralité du Traité modificatif européen (TME). La simplicité n’est qu’apparente.
Dans quelle mesure les modifications introduites par le TME par rapport au TCE sont-elles issues du projet de traité ACED/Amato ? Les seules modifications de fond du TME concernent :
Dans le TME, le mot "Constitution" et l’adjectif "constitutionnel" sont bannis du texte. Ces modifications étaient proposées par le traité Amato.
Dans le TME, le drapeau, l’hymne, la journée et la devise de l’Europe ne sont plus mentionnés. Ces modifications étaient proposées par le traité Amato.
Dans le TME, le « ministre des affaires étrangères » devient le « haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ». Cette modification n’est pas proposée dans le traité Amato (art. 25-6 et 27).
Dans le TME, dans les domaines qui ne relèvent pas de la compétence exclusive de l’Union, les parlements nationaux peuvent s’élever contre un projet d’acte législatif européen s’ils estiment qu’il ne respecte pas le principe de subsidiarité. Si une majorité des parlements nationaux et 55 % du Conseil (ou la majorité du Parlement européen) sont contre, le projet est retiré. Cette modification ne semble pas proposée dans le traité Amato.
Dans le TME (version d’octobre 2007 seulement), le parlement européen compte un député de plus, attribué à l’Italie (c’est l’Italie qui a demandé un représentant supplémentaire au parlement, jugeant inacceptable d’avoir un représentant de moins que la France). Cette modification n’est pas proposée dans le traité Amato (art.19-2).
Dans le TME les dénominations classiques et compréhensibles par tous "loi-cadre" et "loi" sont abandonnées au profit de "directive" et "règlement". Les actes législatifs sont des directives, des règlements (comme dans le TCE) ou des décisions (qui n’étaient pas des actes législatifs dans le TCE). Ces modifications ne sont pas proposées par le traité Amato, qui garde les types d’actes législatifs du TCE et leurs dénominations (art. 32).
Dans le TME, disparition de la "concurrence libre et non faussée" des objectifs de l’Union, qui se trouve réintroduite par le biais du protocole 6. Cette modification n’est pas proposée dans le traité Amato (art. 3-2).
Le traité modificatif intègre par le biais d’un article la Charte des droits fondamentaux, mais après l’avoir modifiée sans que l’on sache en quoi : en effet il est énoncé que "L’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux du 7 décembre 2000, telle qu’adaptée le [... 2007], laquelle a la même valeur juridique que les traités". L’exclusion de la charte des droits fondamentaux du corps du traité semble être l’artifice juridique qui a été trouvé pour permettre l’auto-exclusion de la Grande Bretagne et de la Pologne de son application, sans que le traité lui-même soit mis et cause et en permettant éventuellement un changement d’attitude futur sans remettre le traité en cause. Le traité Amato introduit de même la Charte par le biais de l’article 8, mais il s’agit clairement de la Charte telle qu’elle apparaît dans le titre II du TCE.
Les titres des articles repris des 72 articles des parties I et IV du traité constitutionnel ont été éliminés de la version d’octobre du TME. Ces titres sont conservés dans le traité Amato. »
Sur cette partie technique, Layalle et Joumard concluent : « On peut donc considérer que le traité Amato est, quant à son contenu, intermédiaire entre le Traité instituant une Constitution pour l’Europe (TCE) et le Traité modificatif européen de juillet 2007. Le travail du Comité d’action pour la démocratie européenne (ACED) n’a pas été repris in-extenso : il a de toute évidence servi de feuille de route pour la Conférence intergouvernementale (CIG) formée fin juin 2007 à Lisbonne, mais il y a eu ensuite quelques objections nationales qui se sont négociées dans le cadre de cette CIG. »
Par ailleurs, et comme ils le font remarquer plus loin, l’initiative du Groupe Amato tout en permettant, selon la vulgate de « sortir l’Europe de la crise » a permis aussi à l’Allemagne, assurant alors la présidence de l’Union, de « remettre sur les rails » la ratification d’un traité conservant l’essentiel du Traité Constitutionnel Européen , et je rajouterais : à l’aide du financement de la Fondation Robert Boch (fondation allemande). Je laisse au lecteur le soin de penser s’il s’agit là du simple fait du hasard.
On retiendra aussi la forte présence au sein de ce groupe de réseaux d’influence de premier plan (Friends of Europe et Transatlantic Policy Network, mais pas uniquement) eux-mêmes financés par une kyrielle de firmes globales majeures, pour qui, le moins que l’on puisse dire, l’Europe sociale et démocratique, ne figure pas dans leurs mots d’ordre, mais en lieu et place celui d’une Europe du marché souverain auquel le Traité de Lisbonne rend toute consistance institutionnelle et dont la ratification est indispensable afin de créer le marché unique transatlantique (Union Européenne/Etats-Unis) dont rêve le Transatlantic Policy Network et qu’il a largement contribué à construire au sein des institutions européennes et dans le dos des citoyens européens.
La dynamique générale d’élaboration et de ratification du nouveau traité correspond aussi à un processus où le citoyen–électeur (de deux pays fondateurs de l’Union Européenne) qui en avait rejeté les termes par référendum, se trouve relégué au rang de simple spectateur, ignorant encore tout du « marché unique transatlantique », prochain spectacle que l’on lui prépare.
Triste spectacle, spectacle des tristes, où tous les pouvoirs se confondent pour neutraliser une fois de plus cette Europe que nous voulons tant, fondée sur une économie sociale avec marché et reposant sur des principes démocratiques effectifs.
Cette Europe a des adversaires redoutables, parmi eux : les Europhiles et leurs petites sociétés, dont les réseaux, les stratégies furtives et leur idéologie détissent sans cesse toute possibilité de Grande société démocratique européenne.
Ecoutons notre Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, lors de son allocution télévisée du dimanche 10 février 2008 :
« Mes chers compatriotes, le parlement vient de voter la loi autorisant le Traité de Lisbonne. Ce traité simplifié c’est la France qui a pris l’initiative de le proposer pour sortir l’Europe de la crise institutionnelle dans laquelle elle se trouvait plongée.
Pendant la campagne présidentielle je m’étais engagé à tout faire pour convaincre nos partenaires de tourner la page de la Constitution Européenne qui ne pouvait plus entrer en vigueur alors que deux pays, la France et les Pays-Bas l’avaient rejeté par référendum, et qu’il n’était pas question de demander aux peuples français et néerlandais de se déjuger (1). Dès lors que le projet de Constitution Européenne était écarté, on ne pouvait en rester là. (…)
Un traité simplifié, ne concernant que les dispositions institutionnelles qui avaient semblé retenir un consensus assez large pendant la campagne du référendum était une solution qui permettait de dépasser les oppositions entre partisans et adversaires de la Constitution. (…)
Pour convaincre tous nos partenaires d’accepter ce nouveau traité simplifié que nous leur proposions et qui n’était plus une constitution, il fallait qu’en cas de d’accord nous nous engagions à le faire approuver par voie parlementaire. (…)
Par ce succès, car c’est un succès, la France est de retour en Europe, elle y a retrouvé son influence, sa capacité à faire valoir son point de vue, ses valeurs et le rôle moteur qui avait été le sien par le passé. (…)
Français, nous pouvons être fiers de ce que nous venons d’accomplir, rassemblés.
Ce que nous accomplirons demain sera plus grand encore. Vive l’Europe et vive la France »
(1) On notera que s’il était inenvisageable que français et néerlandais ne se déjugent,
cela l’est désormais totalement pour les irlandais quelques mois plus tard !
NB : Rappelons que le Conseiller pour les affaires européennes de Nicolas Sarkozy durant sa campagne n’était autre que Michel Barnier (son actuel Ministre de l’Agriculture et de la Pêche), ex Commissaire européen délégué au Praesidium de la Convention Européenne (qui organisait les travaux de la Convention) et membre du conseil d’administration de Friends of Europe dont faisaient partie la moitié des membres du dit Praesidium (les deux vice Président compris !). Rappelons que c’est, invité par cette même organisation (à la bibliothèque Solvay), que le bouillant candidat a fait l’honneur de la primeur de sa politique de relance de ratification en septembre 2006. Organisation qu’il connaissait donc ainsi que son pouvoir dans le processus constitutionnel européen.
François Bayrou s’est d’ailleurs livré au même type d’exercice quelques mois plus tard.
Discours de Nicolas Sarkozy devant Friends of Europe
Discours de François Bayrou devant Friends of Europe
Suite à la ratification du Traité de Lisbonne par la France,
écoutons maintenant s’exprimer toute la satisfaction de l’ex Président de la Convention :
M. Valéry Giscard d’Estaing.
L’Express – n° 2955 du 21 au 27 février 2008 - propos recueillis par J.M. Demetz et F. Rivière (extraits) :
« Journalistes : Quel est votre sentiment au lendemain de la ratification par la France du Traité de Lisbonne ?
VGE : Celui d’une profonde satisfaction. Le Traité de Lisbonne est une réécriture du Traité Constitutionnel qui laisse intacte sa substance. L’effort de la Convention européenne pour proposer des réformes capables de permettre à l’Europe d’agir, de prendre des décisions, d’être plus visible vis-à-vis de l’opinion publique est conservé intact.
(…)
Journalistes : Etes-vous sûr que le peuple français, en votant non le 29 mai 2005, ne visait pas le texte constitutionnel ?
VGE : Très clairement. On n’a jamais voulu le reconnaître en France, parce qu’on s’était emberlificoté dans une situation politique compliquée. Mais les français ont voté contre le pouvoir politique du moment, qui était impopulaire. Il y avait aussi une ambiguïté sur l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne, à laquelle le Président de la République de l’époque était favorable. A joué, enfin, la crainte des délocalisations. Aujourd’hui que le pouvoir politique a changé, les Français n’ont aucune raison de s’inquiéter du texte. Alors, le voilà, c’est le même. »
PS : Valéry Giscard d’Estaing, par ailleurs membre honoraire du Groupe Kangourou et Co-fondateur en 1987 de l’Association pour l’Union Monétaire Européenne (AUME) avec l’ex Chancelier allemand Helmut Schmidt. AUME dont Etienne Davignon, actuel Président du Groupe de Bilderberg et de Friends of Europe, a été le premier et le seul président. L’AUME créée avec le soutien de la Table Ronde des Industriels Européens (ERT, elle-même créée préalablement par Etienne Davignon, alors qu’il était Commissaire européen) a été dissoute le 30 Octobre 2001, après la réalisation de sa mission : la monnaie unique européenne.
VGE a participé en 2003 à la Réunion du Groupe de Bilderberg à Versailles en tant que Président de la Convention.
Rappelons-le une fois de plus : s’il est vrai que l’homme est un loup pour l’homme, c’est encore sous la livrée changeante du pasteur de troupeau qu’il se présente sous son plus grand format. Tel est notre difficile tâche dans la construction européenne que de combattre le loup europhobe et le berger europhile, tous deux pareils manipulateurs des forces ténébreuses de la peur, les seconds trouvant les leurs et toute justification en prétendant nous protéger de tout destin catastrophique et en tablant sur « l’instinct grégaire » de l’espèce humaine (pour parler comme Nietzsche) dont la forme d’expression n’est que trop souvent la pénombre et l’effroyable silence de la bergerie dans laquelle s’effectue la traite et les petits commerces de ce que l’Homme issu des Lumières a de plus cher : sa substance démocratique et la raison critique qui lui est consubstantielle.
Voila de quel lait fermente le fromage europhile, sa saveur est celle de la honte et sa tenue en bouche celle d’un avenir en abîme où la figure du demos cratos est sans cesse repoussée, indéfiniment réduite à une forme anecdotique ; et cela paraît-il pour notre plus grand bien - toute autre posture étant irresponsable !
Réanimons ce qu’ils craignent le plus : la puissance du peuple et la puissance intellectuelle. Nos philosophes des Lumières ne s’y sont pas pris autrement, et ils l’ont fait de Montesquieu à Rousseau et à Voltaire, en disséquant les mécanismes des régimes politiques du passé et de ceux de leur temps afin de mettre à jour les schèmes, valeurs et conditions de la Démocratie et de l’Humanisme pour les temps à venir.
Voilà ce qui doit nous inspirer, qui m’inspire en tout cas, afin d’échapper et de ne pas nous laisser ronger par le sentiment de Honte qu’inspirent les modes de gouvernances de nombre de nos élites actuelles.
Nous sommes tous des irlandais ! Refusons de nous déjuger, en tant que citoyens, en tant qu’intellectuels
et en tant qu’humanistes ; bâtissons de Nouvelles Lumières.