1) Le contexte géopolitique, centré sur les Etats-Unis

2) Les réseaux d’influence dans ce contexte géopolitique
   

3) Synthèse : les premiers éléments d’une géopolitique en réseau se mettent en place.

 

1) Le contexte géopolitique, centré sur les Etats-Unis :

En 1884 et encore jusqu’en 1914, l’Europe exerce son hégémonie sur l’ensemble du monde, un monde qui ne se limite plus à celui de la méditerranée, mais dont au fil des siècles elle a étendu la globalisation pratiquement déjà à l’échelle de la planète : alors que ses empires coloniaux sont la forme mature, dominatrice, commerciale  et administrée d’une expansion aventureuse qui s’est déployée depuis Marco Polo puis Vasco de Gama et Christophe Colomb, l’Europe est cette puissance qui a su offrir à l’humanité un autre changement d’ère en l’engageant dans la voie de la révolution industrielle. Celle-ci offrant bientôt aux politiques guerrières des moyens titanesques et aux puissances de création, dont l’humanité n’est pas chiche non plus, toutes possibilités d’inventions diverses qui construisent alors le mythe du Progrès positiviste. Progrès dont certains, se saisissant de l’œuvre de Darwin, arguent sans ambages qu’au travers de sa théorie de l’évolution des espèces vivantes, il serait selon ce « nouveau Newton » la condition de l’évolution de toute espèce vivante.
 
Tout en haut de ce schème évolutif, « le cerveau sur son homme perché » pour reprendre le mot de Renan. Homme dont l’intelligence et la maîtrise technoscientifique serait donc la signature d’une finitude biologique et d’une cosmogénèse où le meccano de la Tour Eiffel, fruit du génie humain, serait comme la pointe avancée de l’histoire de l’Univers.   
Renan qui nous ramenne aussi à la question de la Nation, auspice sous lequel, de l’Allemagne à l’Italie, se créent alors une nouvelle géopolitique européenne sur la base d’ Etats-Nations et de valeurs nationalistes qui irriguent aussi la politique des Etats plus anciens comme la France ou la Grande Bretagne, alors première puissance mondiale jusqu’au sortir de la première guerre mondiale.

Géopolitique basée sur un curieux mixte de multilatéralisme et de bilatéralisme, dans lequel de l’ouest de l’Europe à l’Oural, les grandes puissances européennes se rangeront bientôt soit selon l’ordre de la Triple Entente (Grande Bretagne / France / Russie), soit selon celui de la Triple Alliance (Allemagne / Autriche-Hongrie/ Italie).
Bref, de l’Est à l’Ouest de l’Europe et du Nord Européen au Sud colonial se met en place une subtile mécanique mêlant diplomatie, nationalisme et impérialisme colonial qui offre toute chance de voir un conflit entre deux Etats se généraliser en un conflit européen et par voie de conséquence en un conflit mondial. Ceci étant parachevé par les volontés hégémoniques de deux puissances économiques montantes : le Japon et les Etats-Unis.
Car si Paul Claudel (alors ambassadeur) remarquait en 1909 qu’ « Il est clair que le Japon a d’immences visées d’avenir. D’un côté, un Etat puissant, formidablement armé et pauvre ; et de l’autre, et face à face, un Etat immense, plein de richesses et dépourvu de toutes forces militaires sérieuses. La Chine ndlr », A.J. Beveridge dans un discours, certes enflammé, au Club de Boston le 27 avril 1898 n’avait fait déjà que traduire ce qu’était alors la volonté hégémonique des Etats-Unis : « Les usines américaines produisent plus que le peuple américain ne peut utiliser ; le sol américain produit plus qu’il ne peut consommer. La destinée nous a tracé notre politique ; le commerce mondial doit être et sera notre. Et nous l’acquerrons comme notre mère nous l’a montré (notre mère l’Europe ndlr). Nous établirons des comptoirs commerciaux à la surface du monde comme centres de distribution des produits américains. Nous couvrirons les océans de nos vaisseaux de commerce. Nos institutions suivront notre drapeau sur les ailes du commerce. » 
Commerce mondialisé et industrialisation - dont les expositions coloniales et universelles sont les cathédrales – qui constituent les cornes d’abondance de la création des richesses de ces sociétés de la fin du XIXe jusqu’aux portes de la première guerre mondiale, conflit auquel elles vont offrir les caractéristiques inouïes : dimension mondiale, dimension totale, dimension titanesque, c'est-à-dire boucheries d’un nouveau genre.

Fin d’une époque que l’on appellait et que l’on appelle « belle », et d’où l’on finit par partir « une fleur au fusil et à la bouche une chanson » pour une équipée que l’on ne s’imaginait pas qu’elle mènerait l’humanité vers un  «voyage au bout de la nuit ».
Production massive de richesses aussi, pendant laquelle se constituent déjà les grands empires bancaires transatlantiques ; mais aussi redistribution inégalitaire des richesses dans laquelle bien sûr c’est la classe laborieuse qui est la partie surexploitée, en attente de véritables droits syndicaux gagnés de haute lutte depuis l’autorisation du droit de grève en 1864 en France, pour se concrétiser plus vastement au début du siècle en France mais qui ne le seront que deux décennies plus tard aux Etats-Unis pour permettre quelques chiches améliorations.
D’un côté, un drainage outrancier, rapide et pharaonique des richesses produites, de l’autre une marginalisation économique et sociale du prolétariat, avec entre les deux l’avènement d’une classe moyenne (négligée voire niée par le marxisme) bien réelle pourtant, de plus en plus déterminante sur le plan politique et à partir de laquelle se construisent des sociétés méritocratiques où chacun, dit-on, « self made man » en puissance, peut arriver au sommet de la réussite, en comptant sur ses propres capacités et sur son intelligence à trouver la porte de l’ascenseur social qui le mènera aux jardins suspendus de l’élite sociale.
 
Qui mieux que John Davison Rockefeller pouvait à l’époque incarner la réalité de ce mythe sociétal où, parti d’un seul dollar, on finit par se retrouver à la tête d’un tel empire pétrolier et financier que le gouvernement fédéral est alors obligé de prévoir contre cette ascension une loi anti-trust, pour en limiter la pente vertigineuse et la situation de monopole et d’empire privé.
Mais le phénomène Rockefeller, loin d’être un cas isolé, est l’une des signatures d’une situation politique alarmante arrivée à maturation telle que la relève David C. Korten (1) : « Plus les profits étaient élevés, plus la classe industrielle émergente était capable de renforcer son emprise sur le gouvernement, pour obtenir des avantages toujours plus conséquents. Voyant ce qui se déroulait, le président Abraham Lincoln fit remarquer juste avant sa mort en avril 1865 : « Les grandes entreprises ont été mises sur un trône (…). Une ère de corruption en haut lieu va s’en suivre et le pouvoir de l’argent va s’efforcer de prolonger son règne en exploitant les souffrances des gens (…) jusqu’à ce que les richesses soient accumulées entre quelques mains (…) et la République détruite. » »
Loin de se résorber cette prétention de contrôle politique alla s’amplifiant sous les présidences suivantes, atteignant des situations de corruption et de collusion de pouvoir alarmantes dont les élections de 1876 furent assez caractéristiques, au point que le Président Ruterford B. Hayes (1877-1881) déclare : « Ce n’est plus un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple que nous avons. Ce que nous avons, c’est un gouvernement des entreprises, par les entreprises et pour les entreprises. » (2).
Cette situation de toute puissance des entreprises atteint son point d’orgue en 1886 lors du procès de Santa Clara County contre la Southern Pacific Railroad où le Président de la Cour Suprême déclara qu’une entreprise privée était , selon la Constitution, une personne juridique au même titre qu’un individu si bien que, comme le note Korten : « Ultérieurement, dans leurs décisions, des tribunaux interprétèrent cela comme signifiant que les entreprises avaient droit à la totalité des droits des protections prévues par la Constitution des Etats-Unis (Bill of Rights), y compris la liberté d’expression et les autres protections constitutionnelles destinées aux personnes physiques. Les grandes entreprises en vinrent ainsi à revendiquer l’intégralité des droits dont jouissaient les citoyens individuels, tout en étant simultanément exemptées des nombreuses responsabilités et obligations incombant à chaque citoyen. » (3)

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Dès la constitution du capitalisme industriel en cette fin du XIXe, nous trouvons une de ses caractéristiques fondamentales et vitales pour son développement : la nécessité d’obtenir un cadre juridique qui règlemente le moins possible leur activité et l’accumulation de leurs bénéfices ; cela sans aucune contrepartie. D’où le fait que les firmes n’auront de cesse  depuis cette période d’user de toutes stratégies d’influence pour faire valoir leurs intérêts auprès des institutions nationales, puis supranationales à partir de 1945, d’où aussi le fait que « l’esprit de sel » du néo libéralisme se trouve déjà en germe dans la façon dont il se construit fin XIXe et qui en est peut être sa substance, à savoir : la nécessité de déréglementer le droit  afin d’obtenir un contexte juridique le plus favorable, qui permette aux entreprises de fonctionner de toutes les façons possibles pour autant que cela ne soit pas explicitement interdit par la loi.     
Les acteurs stratégiques d’un tel monde qui sacrifie les valeurs fondamentales des sociétés démocratiques sur l’autel de l’avidité rencontrent  toujours historiquement une limite : celle que peut supporter socialement leur société contemporaine. Celle-ci est atteinte aux Etats-Unis à la fin du XIXe et offre les conditions favorables au développement du mouvement ouvrier outre-atlantique.
En effet alors que certains juges décrètent aux Etats-Unis que les travailleurs sont responsables des accidents et blessures sur leurs lieux de travail, qu’ils déclarent que les lois règlementant les salaires et le temps de travail sont contraires à la Constitution et qu’ils donnent à la notion de bien commun le sens de production maximale sans contrainte sociale, en parallèle de 1888 à 1908 les accidents du travail causent 700 000 décès aux Etats-Unis, soit 100 par jour ; situation humainement intenable qui trouve sa réponse dans la montée du socialisme et dans l’augmentation considérable du nombre de syndiqués qui quadruple en 7 ans  (447 000 en 1897 à 2 073 000 en 1904). L’organisation politique du monde ouvrier et leurs possibles avancées sociales, à l’exemple de l’Europe, inquiète le monde des affaires qui craint la montée en puissance des socialistes comme une menace d’amener des changements radicaux mettant en péril leur position privilégiée. Dès lors comme le note Korten : « Finalement, certains industriels majeurs réalisèrent qu’en payant de meilleurs salaires, en accordant des primes et en procurant de meilleures conditions de travail, ils pourraient miner à sa base l’attrait du socialisme et en même temps s’assurer d’une loyauté et d’une motivation plus grandes de la part des travailleurs. » (4) ; une évolution des mentalités managériales qui se dirigent à la fois vers le fordisme et sa politique de salaires élevés mais aussi vers la philanthropie par la création de puissantes fondations, dont on oublie trop souvent qu’ils ont  été mis en place pour éteindre un incendie qui menaçait de dévaster les empires industriels. J’y reviendrais aussi pour la période suivante.

N’oublions donc pas ce monde décrit aussi par Zola puis par Céline, celui de cette société de révolution industrielle qui, si elle est encore massivement celle de la misère pour une vaste partie de la population, est aussi celle où la pauvreté est idéologiquement construite comme un premier pas potentiel et méritoire vers la richesse par la magie des parcours exceptionnels, tels aux Etats-Unis  ceux des Rockefeller ou Carnegie, mais parcours aussi  très marginaux que ceux de ces dirigeants d’empires privés, qui pour beaucoup organisent la curée de ce nouveau type de société démocratique républicaine de l’argent-roi.
De fait dans la logique du self-made-man, de celui qui « parti de rien, arrive au sommet de la réussite », la misère se constitue comme le socle indispensable de toute élite capitaliste, elle lui est consubstantielle car elle est à la fois l’âme de  sa mystique et le terreau de la course méritocratique outre-atlantique et de ses millions de laissés pour compte.

C’est aussi, et pour finir, à ce moment que le marxisme se développe à la fois comme une idéologie de résistance sociopolitique au travers des nombreux mouvements  sociaux et syndicaux surtout bien sûr en Europe, mais aussi comme une idéologie alternative de gouvernement dont la Révolution Russe  dès 1917 veut donner une réalité concrète, inspirant espoirs pour les uns et menaces pour les autres …et rapidement son lot de barbarie sur fond de Nouvelle Politique Economique léniniste et d’idéologie politique léninifiante.  

(1) David C. Corten in « Quand les multinationales gouvernent le monde » Ed. Yves Michel/Economie – 2006 – p. 103
(2) opus cit. p.103, 104
(3) op. cit. p.105
(4) op. cit. p.108

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2) Les réseaux d’influence dans ce contexte géopolitique    
  
Assez curieusement, alors qu’aujourd’hui, comme le note Evelyne Joslain dans l’Amérique des think tanks : « Il est un fait indéniable, mathématique, c’est qu’il existe davantage de think tanks conservateurs que de think tanks non conservateurs - dans la proportion de un pour trois. » (1) ce à quoi en incluant les réseaux européens je souscris, c’est davantage sur la base de volontés et de logiques redistributives que vont se créer les premières think tanks (laboratoires de pensées) en Grande Bretagne comme aux Etats-Unis, ainsi que les premières fondations sur des bases dites philanthropiques.
(1) Evelyne Joslain – L’Amérique des think tanks – Un siècle d’expertise privée au service d’une nation – L’harmattan – 2006 – p 13      

Dans les années 1880 en Grande Bretagne comme aux Etats-Unis, une logique sociale peine à s’enclencher après la révolution industrielle. Irriguée par les idées d’Adam Smith revisitées par le darwinisme social de Spencer et de ses émules, la droite conservatrice domine alors la pensée politique avec son apologie du «laisser faire» économique qui de lui-même sélectionnerait aptes et inaptes à la société industrielle. C’est pour lutter contre cette domination idéologique et par voie de conséquence politique avec d’importants dégâts sociaux que se crée en 1884 la Fabian Society en Grande Bretagne puis la Russell Sage Foundation en 1907 aux Etats-Unis, qui d’ailleurs toutes deux existent encore ; la Russel Sage, étant le prototype de la fondation philanthropique, inaugurant une lignée de plus d’un siècle jalonnée des noms de prestigieux capitaines d’industrie, tels ceux de Carnegie, Rockefeller puis Ford, jusqu’à Bill Gates aujourd’hui. Toutes fondations privées à l’importance géopolitique considérable puisque disposant de fonds supérieurs au PIB de nombreux Etats modernes ou à la part budgétaire qu’ils peuvent consacrer aux missions d’intérêt général à destination des citoyens. De fait, et on oublie trop souvent de le préciser, les fondations privées effectuent des missions aux conséquences politiques et sociales voire culturelles considérables qui logiquement incombent aux pouvoirs publics. De la sorte, le risque que la démocratie  et le contrôle citoyen y soit marginalisé, anecdotisé, voire disqualifié doit  être examiné.

La Fabian est fondée en 1884 à partir d’une association créée en 1883 : la Confrérie de la Nouvelle Vie, une amicale qui se proposait de revenir à des principes de vie simples et conviviaux sur la base d’une égalité sociale et d’une société plus juste. Mais très rapidement une partie des membres désirèrent impliquer cette philosophie sur le plan politique. Ce courant dirigé par Edouard R. Pease fonda la Fabian Society, ce dernier en devint le premier Secrétaire Général. La Confrérie de la Nouvelle Vie fut dissoute en 1890.
La Fabian a compté parmi ses membres des personnalités d’horizons divers soucieuses de participer à ses réflexions et d’apporter une caution grâce à leur notoriété, s’y sont succédé par exemple :George Bernard Shaw , Edith Nesbit, George Orwell, Emmeline Pankhurst, H. G. Wells, Sinclair Lewis, Bertrand Russell ou encore John Maynard Keynes. Si la Fabian déclarait compter 861 membres en 1900 (dans une déclaration faite par sa délégation lors de la conférence de création du Parti travailliste), elle en revendique aujourd’hui 5810 (rapport d’activité 2004). 
La Fabian est historiquement le premier laboratoire d’idées au monde, ce que l’on nomme Think tank depuis 1945. Une originalité qui trouve sa spécificité dans sa philosophie politique au socialisme réformateur soucieux de ne pas s’enfermer dans aucune idéologie particulière, ce qui l’a amenée par exemple à critiquer aussi bien le libre-échangisme que le protectionnisme. Afin de parfaire cette indépendance d’idées sur le plan théorique, quatre membres illustres de la Fabian (Beatrix and Sidney Webb, Graham Wallas et George Bernard Shaw) vont fonder en 1894 la London School of Economics (LSE) avec laquelle elle entretient des liens toujours très étroits, pas seulement en matière d’expertise dans la mesure où nombre de membre de son conseil de surveillance actuel sont enseignants-chercheurs à la LSE.
La Fabian Society a tenu et tient encore une place de choix dans la construction de la Social Démocratie, que ce soit sur le plan théorique ou sur le plan politique.
C’est donc sur la base d’une philosophie politique socialiste, que se fonde la Fabian Society en Grande Bretagne, dès son premier tract intitulé « Pourquoi la multitude est-elle pauvre ? », mais aussi dès sa première étude parue en 1889 à la suite des manifestations des ouvrières de l’industrie des allumettes. Mais la Fabian se donne aussi très tôt une vocation  d’expertise et de conseil stratégique, c’est surtout en cela qu’elle est une think tank avant l’heure. Son nom se réfère d’ailleurs explicitement au Général romain Quintus Fabius (rien à voir avec Laurent !) dont la méthode, nous explique leur site, consistait à retarder la bataille jusqu’au moment propice tout en privilégiant les actions de harcèlement et d’usure par rapport à l’attaque frontale et massive.
Cette référence militaire n’est pas neutre, tout en référant l’action d’influence à la stratégie, elle définit le réseau d’influence dès l’origine de la Fabian dans le champ d’une fonction oblique, asymétrique par rapport à la tactique politique traditionnelle considérée alors comme force pure, frontale, dissymétrique.             
Une vision stratégique très efficace dans la mesure où la Fabian Society va jouer un rôle moteur en 1900 dans la fondation du Parti Travailliste en se joignant à certains syndicats ;  parti auquel jusqu’à aujourd’hui elle a servi de think tank et dont elle se veut « l’amie critique ». Mais comme le rappellent Boucher et Royo (1), même si elle a dénoncé la politique fiscale de Tony Blair, avec 200 députés travaillistes élus depuis 1997 et issus de ses rangs, l’indépendance nécessaire à toute distance critique n’est pas facile à trouver, sans doute, mais pour ma part j’y relèverais aussi une des caractéristiques des think tank les plus prestigieux : à savoir d’être des pépinières d’élites politiques. En clair, ils ne diffusent pas seulement leurs idées mais aussi leurs experts vers les milieux politiques traditionnels.  
Quoi qu’il en soit, de nombreuses idées développées par la Fabian ont été mises en œuvre par les divers gouvernements socialistes, ainsi il faudra attendre Tony Blair pour voir adopter le salaire minimum proposé par la Fabian… en 1906.
Par ailleurs, après la première guerre mondiale la Fabian Society va s’implanter dans nombre de contrées de l’empire colonial britannique où ses membres vont dispenser sa philosophie politique socio démocrate qui va influencer nombre de leaders indépendantistes qui deviendront par la suite parfois chefs d’ Etat, ainsi : Jawarharlal Nehru en Inde, Muhammad Ali Jinnah fondateur du Pakistan et membre de la Fabian dans les années 30, ou encore Lee Kuan Yew qui a inauguré la fonction de Premier Ministre à Singapour. On peut donc dire qu’elle a à la fois durablement affecté la politique d’accession à l’indépendance  des anciennes colonies britanniques tout comme la politique des Etats ainsi nouvellement créés, particulièrement en Inde où elle existe toujours tout comme en Australie, au Canada et en Nouvelle Zélande.
En 1908 a été créé un branche féminine de la Fabian (Fabian Women) et en 1960 le mouvement des jeunes de la Fabian Society (Young Fabians) qui a joué un rôle prépondérant dans l’élection en 1994 de Tony Blair, membre de la Fabian tout comme Gordon Brown son successeur.
La Fabian Society est présidée par Ed Balls en 2004 (actuel Président de la Fabian, Secrétaire d’Etat de l’enseignement primaire, de la famille et de l’enfance), assisté de Peter Townsend (professeur à la London School of Economics) comme vice président et de Nick Butler comme Trésorier.
    
(1) Stephen Boucher et Martine Royo in Les think tanks, cerveaux de la guerre des idées – Ed Kiron/lefélin- 2006 p.46, 47

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ou comment gérer une ville comme une entreprise
                                                                                 
Aux Etats-Unis, en ce début de XXe, tout l’édifice de la création des réseaux d’influence repose, à l’image de la mentalité des élites de l’époque sur l’idée que la technicité grandissante des problèmes modernes requérait une expertise scientifique et technique d’envergure et renouvelée. Au fond, la mission que se donnent fondations et think tanks est de doter la société de tels moyens qui, quand ils sont considérables comme ceux des grandes fondations, leur permettent à la fois de développer les sciences fondamentales et appliquées mais aussi d’élaborer jusqu’à leur finalisation dans des programmes d’action à but humanitaire ou sociétaux hors de portée des moyens financiers et techniques de bien des Etats. De plus, c’est sur les manques et la critique des politiques menées par les gouvernements et dans l’idée de « faire de la politique autrement » que se créent ces premiers laboratoires d’idées et d’actions.
D’ailleurs, dès l’origine, comme le note Evelyne Joslain commentant la création du Bureau of Municipal Research et de la Russell Sage Foundation  en 1907 :

« Ces deux proto-think tanks, en dénonçant les scandales divers et les rivalités stériles qui jetaient le discrédit sur le monde politique et en s’appliquant à transformer l’action gouvernementale en faveur du bien public, reflétaient un principe fondamental de l’idéologie progressiste : ne pas/ne plus laisser aux seuls politiques la gestion des affaires publiques. Le but de ces experts en sciences sociales était, sous couvert de neutralité, de casser le monopole des machines politiques officielles, corrompues et partisanes, qui dominaient le gouvernement fédéral comme celui de tous les Etats de l’Union, et ceci depuis la fin de la Guerre de Sécession. »
Evelyne Joslain – L’Amérique des think tanks / Un siècle d’expertise privée au service d’une nation
Ed L’Harmattan - 2006  p. 28

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Ainsi le Bureau of Municipal Research (BMR) justement, créé en 1907 à New York et financé en partie par le financier Fulton Cuttings. Ce puissant laboratoire d’idées devint rapidement un staff d’élite, regroupant à la fois hommes d’affaires et chefs d’entreprise des plus influents et des universitaires de très haut niveau, issus de sections de droit et d’économie les plus prestigieuses (Ivy League Universties, soit les plus importantes universités des Etats Unis). Experts qui se définissent comme « théoriciens de l’efficavité » et « nouvelles techniques d’administration », selon la bonne formule d’époque de Walter Lippman (voir plus bas):
« la gestion d’une grande démocratie exige une discipline stricte s’appuyant sur de nouvelles techniques, seules capables d’efficacité.»
La mission du BMR fut motivée  dans un double esprit : à la fois faire profiter la municipalité d’ « expertises de haut niveau », pour reprendre leur propre terminologie, mais aussi imposer l’idée que les grandes villes peuvent être gérées et administrées comme des entreprises et dont les habitants pourraient être parfaitement assimilés à des actionnaires ; ainsi les méthodes de gestion entrepreneuriales qui avaient constitué les fortunes colossales des grands capitaines de l’industrie et de la finance pouvaient elles être considérées comme généralisables et devant remplacer les méthodologies politiques sur la base d’un double credo : expertise et efficacité qui pourrait maintenant irriguer des secteurs tels que la santé, l’éducation, l’urbanisme, les transports ou la question sociale. C’est à partir de ce moment, comme le note Evelyne Joslain que l’ « on vit proliférer les écoles de gestion et d’administration ». (opus cit. p. 30)
Le BMR est donc historiquement doublement important, tout d’abord dans la mesure où il préfigure ce que certains auteurs spécialistes des think tanks appellent « Universités sans étudiants », pour désigner des laboratoires d’idées essentiellement composés de chercheurs et d’universitaires dont la vocation est de développer des analyses et de les imposer dans une sphère sociétale-cible, mais aussi dans la mesure où le BMR développe et impose pour deux décennies (jusqu’à la crise de 1929) une idée que le néolibéralisme a rénovée et modernisée : à savoir que la gouvernance d’entreprise, sa philosophie et ses valeurs, pouvait être le modèle de toute gouvernance politique ; n’est-ce pas au plus  profond ce que l’on entend aujourd’hui par « modernisation », dites ?...

De la sorte, nombre des conceptions et stratégies politiques libérales s’enracinent dans ce terreau idéologique qui prévaut dans ces trois premières décennies du XXe siècle.

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Sociologiquement, les Etats-Unis sont dépourvus de cette noblesse d’affaire et d’industrie que l’on trouve alors en Europe à la tête d’empires bancaires et industriels. L’élite dirigeante y est beaucoup plus récente, sa réussite qui ne peut-être qu’impressionnante voire stratosphérique devient de façon idéalisée le moteur d’une idéologie de la réussite qui confine au darwinisme social par son idéalisation de l’individu dans une lutte pour la vie où compétences et talents personnels deviennent les armes victorieuses qui permettent à la fois de s’adapter au contexte du « Nouveau Monde », d’en repousser « la nouvelle frontière » et d’assurer la réussite personnelle dans un espace sociologique concurrentiel.
Comme on l’a déjà dit, c’est dans ce contexte que naît le mythe du self-made-man, littéralement « l’homme qui s’est fait tout seul » envers et contre tout et tous.
Deux personnalités  incarnent sans conteste ce mythe en cette fin de XIXe et début XXe ; ce sont Andrew Carnegie (1835–1919) et John Davison Rockefeller (1839–1937) ; tous deux fondateurs de deux fondations de première importance : la Carnegie foundation en 1911 et la Rockefeller foundation en 1913. Deux fondations, attachées à des noms mondialement célèbres et à des actions philanthropiques à l’échelle mondiale. Avant de les détailler, un mot toutefois sur celle moins connue, et qui les a précédé : la Russel Sage Foundation créée en 1907.

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Au départ encore un milliardaire self made man, magnat de la construction ferroviaire et de la Banque : Russell Sage. Quand il décède en 1906, il laisse une immense fortune à sa veuve Margaret Olivia Slocum Sage (1828-1918) qui, sur la base d’un don de 10 millions de dollars, fonde la Russell Sage foundation en mémoire à son mari. Dès l’origine, le but de la fondation, d’ailleurs proche de celui de la Fabian Society est d’ « améliorer les conditions sociales et les conditions de vie aux Etats-Unis » en finançant des programmes de recherche en sciences humaines, afin de dégager les pistes opportunes en matière de politique sociale et de réforme juridique.

 

Russel Sage
Russell Sage vers 1900

On trouve déjà dans cette fondation, les deux points fondamentaux  sur lesquels vont se développer les fondations philanthropiques : Une logique redistributive (dont j’ai analysé le contexte précédemment) et le culte positiviste de l’expert caractéristique de cette période.
A la base de toutes ces fondations, des fortunes individuelles privées considérables rapidement amassées qui sont redirigées dans un souci altruiste vers l’intérêt général. Ce type d’action peut prendre plusieurs formes, assez souvent complémentaires, telles l’expertise avec la mise en œuvre de programmes éducatifs, mais aussi celle de développement agricole et de lutte contre la faim ou la malnutrition, d’actions que l’on appelle aujourd’hui humanitaires, mais aussi de prévention contre la guerre ou les pandémies.
Par ce type d’action le magnat des affaires, considéré comme un prédateur dans son domaine y gagne l’image d’un honnête homme désintéressé dont la finalité de l’activité économique devient le souci des autres et des plus démunis. Que les conditions de travail soient déplorables dans ses usines ? Qu’importe,  puisque la fondation qu’il finance largement agit pour le bien-être et le bienfait de l’humanité. Plus fondamentalement la fondation philanthropique siphonne l’humanisme de l’intérieur de l’entreprise et du processus de production de richesse pour le projeter dans l’espace idéal des bonnes œuvres et des bonnes causes mais dont l’enjeu véritable est de distraire l’opinion publique des causes véritables de la misère humaine.
Une supercherie dont Jean Jacques Rousseau avait déjà montré toute l’hypocrisie en son temps :
                     
« Le plus grand mal est fait, quand on a des pauvres à défendre et des riches à contenir. C’est sur la médiocrité seule que s’exerce toute la force des lois ; elles sont également impuissantes contre les trésors du riche et contre la misère du pauvre ; le premier les élude, le second leur échappe ; l’un brise la toile, et l’autre passe au travers.
C’est donc une des plus importantes affaires du gouvernement de prévenir l’extrême inégalité des fortunes, non en enlevant les trésors à leurs possesseurs, mais en ôtant à tous les moyens d’en accumuler, ni en bâtissant des hôpitaux pour les pauvres, mais en garantissant les moyens de le devenir. »

Jean Jacques Rousseau  - Discours sur l’économie politique – 1755 Ed GF Flammarion 1990 p. 76 et 77

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Fortunes d’hier et d’aujourd’hui, comparées avec celles de John D Rockefeller et d’Andrew Carnegie

Valeur des fortunes au décès (ou en 2006 pour Gates et Buffet),
ajustée par rapport à l’évolution du coût de la vie. En milliards de $

 

Caricature 
John D Rockefeller                                 192
  1839-1937
Andrew Carnegie 
Cornelius Vanderbilt                             143
  1794-1877
Andrew Carnegie 
John Jacob Astor                                   116
  1763-1848
Andrew Carnegie 
Stephen Girard                                         83
  1750-1831
télescope 
Bill Gates                                                   82
  1955-
Palais de la paix 
Andrew Carnegie                                     75
  1835-1919
Rockefeller 
Warren E. Buffet                                      46
  1930-

Source : « the Wealthy 100 » by Michael Klepper & Robert Gunther in The New York Times - Samedi 21 Juillet 2007 / Patrick Gatines / 2007
Rockefeller et Carnegie disposaient donc de fortunes colossales pour financer leurs fondations (comme Bill Gates aujourd’hui), en effet celle de Rockefeller est largement supérieure au PNB de la Finlande aujourd’hui (192 / 171 milliards de $), tout comme celle de Carnegie l’est également à celui de l’Ukraine (75 / 60,3 milliards de $).
Données PNB : Bilan du monde 2006 – Edition Le Monde/Hors série.                 

   

Standard oil
Caricature datant des années 1900/1910 et représentant Andrew Carnegie et John Davison Rockefeller dans leurs œuvres de bâtisseurs philanthropiques

 

Quelle est donc l’histoire de ces deux fondations : Carnegie et Rockefeller, qui avec la fondation Ford plus tardive sont les matrices historiques de la profusion de ce type de réseau existant aujourd’hui jusqu’à la célèbre Bill & Melinda Gates foundation. Structures qui cumulent un rôle de think tanks et de mise en œuvre de programmes philanthropiques. La fondation Carnegie  tout d’abord.

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(voir aussi documents plus haut)

            

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Andrew Carnegie
   

 

Andrew Carnegie quitte la Grande Bretagne pour les Etats-Unis en 1848, pour s’y faire bientôt naturaliser. Il devient magnat de l’acier en fondant et en développant la Carnegie Steel Corporation,  notamment en investissant massivement dans la production de rails de chemin de fer avec la Pittsburgh Loco and Car Works. En 1901, il se retire des affaires et vend ses sociétés à la banque d’affaire John Pierpont Morgan pour 480 millions de dollars (de l’époque) ; évidemment un record, qui le fait vite surnommer « l’homme le plus riche du monde ». Il consacre alors son immense fortune à l’action philanthropique pour mettre en œuvre ses préceptes sur le nécessaire développement de la culture, des sciences et de la paix.
Andrew Carnegie avait déjà créé le California Institute of Technology en 1891 à partir de fonds qu’il avait mis à disposition de l’astronome George Ellery Hale. Cette institution qui emploie aujourd’hui plus de 500 enseignants-chercheurs et a formé plus de 30 prix Nobel est devenue, et assez tôt, l’une des Université les plus prestigieuses au monde (la fameuse Caltech) tout en étant propriétaire de l’observatoire légendaire du Mont Palomar.

CIT
Inauguré en 1908, le télescope de 60 pouces mis à disposition de Georges Ellery Hale grâce aux fonds de la Fondation Carnegie. C’est grâce à cet instrument qu’ Harolw Shapley réussit à mesurer la dimension de notre galaxie et à y définir la position de notre système solaire.(sources : site internet de l’observatoire du Mont Palomar)


La diffusion de la culture est aussi une activité dans laquelle va s’investir massivement Carnegie en finançant la construction de plus de 2500 édifices, dont le très connu Carnegie Hall, mais aussi de très nombreuses bibliothèques (les Carnegie libraries) comme celle de Reims par exemple. En effet si la majorité de ces constructions se trouvent aux Etats-Unis, l’Europe n’est pas non plus étrangère à ses préoccupations.
Ainsi, Andrew Carnegie, c’est aussi le Palais de la Paix de La Haye aux Pays-Bas, bâtiment qui abrite une bibliothèque, l’Académie de droit international, la cour permanente d’arbitrage et la cour internationale de Justice. Ce bâtiment, propriété de la Fondation Carnegie pour la paix, créé en 1904, avait été conçu à l’origine pour abriter les Conférences de La Haye pour la Paix dont la première, en 1899, à l’initiative du Tsar Nicolas II, devait conjurer au mieux les tensions de plus en plus exacerbées entre les puissances européennes en les invitant à la paix et au désarmement, alors même qu’ils se dotaient, tout comme la Russie d’ailleurs, d’armées professionnelles puissamment équipées par les capitaines d’industries. En fait, loin d’atteindre malheureusement cet objectif, elles serviront surtout à la constitution puis à la consolidation du double système d’alliances européen, soit la Triple Entente et la Triplice, mais elles montreront tout de même la possibilité de négociations multilatérales sur la paix et d’y déléguer certains arbitrages en matière de conflits internationaux à une Cour représentante de la communauté des Etats. Cour qui fût créée aussi dans le sillage de la première Conférence Internationale de Droit Privé de La Haye, présidée par Tobias Asser, (professeur de Droit Néerlandais - Prix Nobel de la Paix 1911) et des nombreux travaux de droit international qu’elle inaugura.
Le bâtiment dit Palais de la Paix, abritant donc toutes ces institutions fût inauguré en 1913 par Andrew Carnegie, soit un an avant le début de la première guerre mondiale… (Photo ci-dessous)

Conseil Solvay

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Autre nom prestigieux dans l’histoire des fondations que celui de la Rockefeller foundation : fondation mais aussi dynastie fameuse de John Davison Rockefeller (1839-1937) à David Rockefeller aujourd’hui, homme de tous les réseaux d’influence ; et il faut bien le dire homme de tous les fantasmes conspirationnistes … qu’il s’est lui-même complu à inspirer ; faut-il y voir là un retour aux sources de sa dynastie ?
En effet le lointain  aïeul de David, père de John D. R. occupait la risquée profession de marchand de sirop-miracle en ce milieu tourmenté du XIXe aux Etats-Unis, profession forcément itinérante dont le rythme effréné des déplacements peut être calculé en faisant le rapport entre le boniment laudatif destiné à vendre le produit et les vertus effectives de sa formule chimique.

Rockefeller, âgé de 18 ans Image
John Davison Rockefeller en 1857, âgé de 18 ans
Action de la Standard Oil  - 1882


Quelles leçons le jeune John D. a-t-il tirées de l’expérience de son père ? L’historiographie ne le dit pas, ce que nous savons simplement c’est qu’il se lance aussi dans le commerce, à l’âge de 21 ans, mais sur la base de produits plus assurés, puisqu’il obtient rapidement d’importants bénéfices par le courtage de produits agricoles, dégageant un capital qu’il va réinvestir dans la prospection pétrolière où il va rencontrer un succès foudroyant.
A peine âgé de trente ans, il finit par contrôler pratiquement tous les producteurs de pétrole des Etats-Unis, alors qu’il rencontre les premières difficultés liées à une situation de monopole qu’il voudrait sceller par son entreprise : la South Improvment Cy. Il doit changer de stratégie tant son projet est jugé contraire à la morale, à la démocratie et à la libre concurrence. Aussi dès 1870 entreprend-il de racheter une par une les entreprises concurrentes, soit en liquide soit à l’aide des actions de sa société, ainsi possède-t-il bientôt toutes les raffineries de Pennsylvanie. Alors que la loi lui interdit d’en dépasser les frontières, il porte l’affaire devant les tribunaux qui en inventant le concept de trust permettent la création de la Standard Oil, ancêtre d’ESSO puis d’EXXON Mobil (Firme qui a aujourd’hui le chiffre d’affaire le plus important au monde : 291,3 milliards de dollars).

John D. Rockefeller vers 1875
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  John Davison Rockefeller vers 1875

 John D. Rockefeller  représenté en 1901 comme empereur de l’énergie et des transports

Cette caricature fait sans doute référence à la fusion orchestrée par J. D. R. et son rival de toujours John Pierpont Morgan en 1901, en effet se trouvaient ainsi amalgamés « 112 conseils d’administration rassemblant ainsi des actifs d’une valeur de 22,2 milliards de dollars US au sein de la Northern Corporation of New Jersey. Cette somme gigantesque équivalait au double de la valeur estimée de l’ensemble de tous les biens répertoriés au sein de treize Etats du sud des Etats-Unis. Avec pour résultat que : « Le cœur de l’économie américaine était rassemblé sous un seul toit : du secteur bancaire à l’acier et aux chemins de fer, en passant par la voirie et l’urbanisation, les communications la marine marchande, les assurances, la fourniture d’électricité, le caoutchouc, le papier, les raffineries de sucre, et une autre série d’autres piliers de l’infrastructure industrielle. » (2)
(1) opus cit. p107
(2) Harvey Wasserman, America Born & Reborn – New York : Collier Books, 1983 – p. 108

En 1882, la Standard Oil qui siège à New York était déjà la société la plus puissante des Etats-Unis et doit-on dire la plus puissante du monde. En effet si les Etats-Unis sont alors la seule puissance industrielle produisant du pétrole sur leur territoire, production qui explose littéralement au début du siècle (6,1 millions de tonnes en 1890 pour 33 en 1913), la Standard Oil détient « le monopole de ce monopole ». De fait, John Davison Rockefeller est devenu l’homme le plus riche de la planète quand il prend sa retraite officielle en 1896  après avoir diversifié les activités de sa société dans l’automobile puis l’aviation ; c’est alors son seul fils (John Davison Jr.) d’une fratrie de cinq enfants qui prend la suite de ses affaires et devra faire face en 1911 à la dissolution de la Standard Oil prononcée par la Cour Suprême des Etats-Unis sur la base d’une Loi Anti-Trust concoctée spécialement à cet effet.  

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Logo de la Fondation Rockefeller
Dès l’origine elle définit le sens et la dimension planétaire de sa mission philanthropique: « Le bien-être du genre humain par-delà le monde »


Disposant d’une fortune colossale, J.D.Sr. se consacre alors pleinement à ses projets philanthropiques, dont l’amorce avait été le financement de la création de l’Université de Chicago en 1890, l’une des plus prestigieuses au monde sinon la plus prestigieuse, dont le département Business School a été encore classé N°1 mondial en 2006 par Business Week. Cette Université est aussi le réceptacle de la fameuse  Ecole de Chicago qui a théorisé à partir des années 1970 cette option idéologique ultralibérale de la mondialisation que l’on nomme le néolibéralisme, sur la base des travaux de certains de ses enseignants-chercheurs devenus par la suite mondialement célèbres, souvent nobélisés et qui ont su gagner à leur conception économique l’écrasante majorité des décideurs mondiaux publics et privés. Ce sont des Nobel (Prix de la banque de Suède, car il n’y a pas de Nobel d’économie) tels que : Milton Friedman, Georges Stigler, Gary Stanley Baker, Ronald Case et  Robert Lucas Jr. ou d’autres de renommée internationale : Frank Knight, Thomas Sowell ou Richard Posner. Tous théoriciens qui ont inspiré aussi la politique d’institutions supranationales telles que la le GATT puis l’Organisation Mondiale du Commerce, la Banque Mondiale ou le Fonds Monétaire International relativement aux politiques d’ajustement structurel par exemple (cf documents), c'est-à-dire à la privatisation systématique des secteurs publics estimés trop coûteux (santé, éducation, eau, électricité,…), entravant le remboursement de la dette publique et la libre concurrence. Cette école de pensée économique est importante également sur le plan culturel, historique et politique dans la mesure où ces théoriciens de Chicago mettent fin à la suprématie de l’école keynésienne qui prévalait depuis plus de cinquante ans.
Mais l’Université de Chicago, c’est également pour son ensemble une Université qui au cours de son histoire a eu 79 prix Nobel comme collaborateurs et a toujours travaillé en synergie avec la fondation Rockefeller créée en 1913 même si celle-ci a collaboré et collabore toujours avec de nombreux instituts et organismes de recherche qu’elle a parfois contribué à créer.
D’emblée, la Fondation dont le but est de promouvoir « le bien-être du genre humain par-delà le monde » est dotée de moyens pharaoniques : 250 millions de dollars, pour une valeur globale de ses dotations sur le marché équivalent à l’époque à 3,1 milliards de dollars, pour intervenir principalement dans les domaines de la santé publique et de l’hygiène, de la lutte contre la faim et la malnutrition, de l’éducation, mais aussi dans les « domaines amont » de la recherche fondamentale et de la recherche appliquée en sciences dures (physique / biologie) ou en sciences sociales, qu’ils soient liés ou non à des préoccupations humanitaires. Ayant intervenu à ce jour dans plus de 52 pays sur tous les continents, la fondation Rockefeller est sans doute un acteur privé majeur de l’histoire du vingtième siècle dont l’influence historique ne peut être négligée dans deux domaines majeurs : la recherche scientifique et le développement de l’agriculture productiviste dans les pays du tiers-monde,  connu sous le nom de Révolution Verte et que j’aborderais dans la période suivante qui voit la création de la Fondation Ford, autre acteur majeur  « géo philanthropique ».
Mais qu’en est-il au juste de l’apport de la Rock. Found. aux sciences du XXe ?

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               On peut, en ne s’en tenant qu’aux aspects conceptuels propres à chaque discipline scientifique, dresser une histoire cohérente des sciences, on parle là alors d’une histoire (et/ou d’une épistémologie) internaliste des sciences ; le tout est de savoir si elle est complète. Mais comme l’ont bien montré historiens des idées et sociologues, les aspects externes aux pures théories scientifiques et à leur historiographie méritent aussi d’être considérés, notamment ceux qui relèvent du contexte politique, des idées et de la culture ambiante d’une époque, mais également  de sa sociologie scientifique allant du mécène (public ou privé) à l’utilisateur des artefacts technoscientifiques et embrassant tout l’espace sociétal intermédiaire, on parle alors d’approche externaliste. L’importance des fondations privées est à ce niveau, me semble-t-il, tout à fait majeure ne serait-ce que parce qu’elle est très souvent négligée alors que celles-ci ont eu un rôle primordial dans la détermination de politiques de recherche, dans leur financement et par leur persistance, à leur réussite.

 

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Après avoir fait appel à Carnegie, Georges Ellery Hale sollicita Rockefeller pour la construction d’un nouveau téléscope beaucoup plus puissant de 200 pouces qui fut inauguré en 1928à l’observatoire du Mont Palomar (dépendant de Caltech). Cette plaque commémore les investissements de ces trois organismes Rockefeller. La subvention du seul International Education Board s’élevait à 6 millions de dollars de l’époque. (Source : cite de l’observatoire du Mont Palomar)

Même si ce n’est pas à proprement parler mon sujet dans le détail ici, il me semble nécessaire de préciser combien la très exotique physique moderne (quantique, nucléaire et astrophysique) est redevable aux financements des Rockefeller, tout comme d’ailleurs à ceux du magnat belge de la chimie Ernest Solvay. Nombre de travaux de recherche en physique nucléaire sont à l’époque financés par les instituts subventionnés par Rockefeller, c’est sur le site de l’Université de Chicago que se déroulera la concrétisation de tant d’années d’investissements, à savoir la première réaction nucléaire contrôlée, par l’équipe d’Enrico Fermi en 1942, alors qu’en Europe, Ernest Solvay, principal mécène de l’Université Libre de Bruxelles (ULB), y fonde l' Institut International pour la Physique et la Chimie à Bruxelles et l' Institut de Sociologie (1894), l' Institut de Physiologie (1895) puis l' Ecole de Commerce Solvay (1903, qui deviendra la fameuse Solvay Business School). C’est dans cet institut de physique et de chimie que se tiendront tous les 3 ans à partir de 1911 les fameux conseils Solvay,  dès cette première cession Solvay réunira 11 Prix Nobel, et d’autres spécialistes représentant l’élite de la physique de l’époque (dont Marie Curie, Albert Einstein, Paul Langevin, Max Planck, Ernest Rutherford, Henri Poincaré et Louis de Broglie). S’il n’y a pas à proprement parler de Fondation Solvay en la matière, il n’en demeure pas moins que les mécénats multiples de Solvay envers la recherche scientifique ont joué un rôle considérable dans leurs avancées (notamment en mécanique quantique) tout aussi importants que les investissements des Rockefeller, et à ce titre ils méritent d’être signalés.

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Ci-dessus photographie de groupe du 1er Conseil Solvay en 1911 qui regroupe déjà tous les grands noms de la physique du début du XXe, on reconnaîtra entre autre Albert Einstein ( debout, 2e à droite) et Marie Curie (2e assise à droite), mais aussi Ernest Solvay (3e assis à gauche).

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Ci-dessous, en 1927,  les mêmes, mais aussi tous les grands noms de la physique quantique qui les ont rejoint: Heisenberg, Bohr, Born, Shrödinger, Dirac, entre autres.
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N’oublions pas non plus que c’est à la bibliothèque Solvay (siège du puissant réseau d’influence Friends of Europe) que Nicolas Sarkozy et François Bayrou ont présenté à Bruxelles leurs projets de relance de traité constitutionnel européen, conférences organisées par FoE et la fondation Robert Schuman, à l’occasion de leur campagne présidentielle. (Leurs discours dispo. sur ce site)
Friends of Europe qui compte par ailleurs dans son Praesidium le Président de Solvay : le baron Daniel Jansen.
C’est dire si, sans chercher matière à conspirationnisme, le rôle de ces généreux mécènes innerve durablement notre histoire, éclairer leur action c’est alors se donner de meilleures chances de la comprendre dans toute sa complexité.
Un autre domaine scientifique dans lequel l’action de la Fondation Rockefeller  a été décisive est sans conteste celui de la biologie moléculaire, science née à l’interface de la biologie et de la chimie  et nourrie des apports de nombreux physiciens, une dynamique dans laquelle cette Fondation n’est pas pour peu.
Ecoutons Marcel Blanc en 1986, dans son ouvrage consacré à l’histoire de la génétique et aux perspectives qu’elle ouvre :

« Cette pénétration des physiciens et de la pensée mécaniste dans l’ascension de la génétique n’est pas due au hasard, ni même au développement de la biologie selon sa propre logique interne. C’est en bonne partie la conséquence de l’impulsion donnée à la recherche scientifique, à partir des années 30, par la Fondation Rockefeller. Cette organisation « philanthropique » avait pour but de promouvoir la rationalisation de tous les aspects de la vie moderne, que ce soit dans l’industrie, la santé, les rapports sociaux, la recherche scientifique. »
In Marcel Blanc – L’Ere de la génétique – Ed. La Découverte – 1986 p.41

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Que l’on me permette d’éclairer la philosophie qui sous-tendait cette volonté de rationalisation, nimbée de l’eugénisme ambiant et nauséeux qui sévissait à l’époque : (Voir mes recherches de fond sur la généalogie de l’Eugénisme en annexe)
  
« Pouvons-nous développer une génétique assez solide et approfondie pour engendrer des hommes supérieurs dans l’avenir ? Pouvons-nous en savoir assez sur la physiologie et la psychologie de la sexualité pour que l’homme puisse mettre cet aspect omniprésent, essentiel et dangereux de la vie sous un contrôle rationnel. (…)
L’homme peut-il acquérir une connaissance suffisante de ses propres processus vitaux de façon que nous puissions rationaliser le comportement humain. »
Biologie moléculaire, rapport du conseil d’administration de la Fondation Rockefeller – 1933
Cité par Lily E. Kay, The molecular vision of life, Oxford University Press, Oxford, 1993, p. 45.

Et Marcel Blanc de continuer:

« Dans l’optique de cette orientation, l’un des administrateurs de la Fondation, Warren Weaver, lui-même ex-physicien, encouragea ce qu’il estimait être la modernisation de la biologie, c’est-à-dire la reformulation de ses problèmes en termes de physique et de chimie. Weaver considérait en effet que la biologie, telle qu’elle était pratiquée jusqu’alors, était une science trop descriptive et spéculative, et par là, incapable d’atteindre à des certitudes, de faire des prédictions… toutes choses que pouvaient faire les sciences physiques. En 1938, dans un rapport interne à la Fondation, Weaver écrivait qu’il s’agissait d’aider au développement « des zones frontières de la recherche ou la physique et la chimie se confondent avec la biologie » et de pousser à « la création d’une nouvelle branche – la biologie moléculaire – capable de découvrir tous les secrets des composants ultimes des cellules vivantes ».
Sous l’impulsion de Weaver,  la Fondation Rockefeller commença à financer les biologistes qui désiraient s’équiper en ultracentrifugeuses (appareils qui permettent de trier les molécules) et autres matériels de physico-chimie ; les biologistes qui désiraient repenser les problèmes biologique en termes de physique ; les physiciens qui désiraient se reconvertir à la biologie, etc. Il n’est donc pas étonnant que Max Delbrück, avec son programme de recherche envisageant le gène comme une molécule capable de se recopier, ait été financé par la Fondation Rockefeller. Mais elle toucha aussi beaucoup d’autres protagonistes de la création de la génétique moléculaire, directement ou indirectement. Oswald Avery qui découvrit la molécule d’ADN comme substance des gènes, travaillait à l’Institut Rockefeller de New York. Le travail de Crick et Watson fut aussi indirectement influencé, dans la mesure où ils s’inspirèrent des méthodes de la construction de modèles moléculaires mises au point par Linus Pauling (double Prix Nobel). Ce dernier, un physico-chimiste américain, qui s’est illustré juste après la Seconde Guerre Mondiale, dans l’élucidation de molécules biologiques (des protéines notamment), était directement financé par la Fondation Rockefeller. »
In Marcel Blanc – L’Ere de la génétique – Ed. La Découverte – 1986 – p.40,41

Pour conclure sur la Rockefeller Found, il est important de préciser que son histoire ne peut être analysée de façon indépendante de celle de la dynastie des Rockefeller, ainsi avec John Davison Jr, c’est dans le mécénat artistique et le financement d’un grand nombre de musées, dont celui du Museum of modern Art (le célèbre Moma) de New York, que se lancent les Rockefeller. La protection de l’environnement doit être aussi mentionnée dans la mesure où J.D. Jr. a acheté et donné aux Etats-Unis de nombreux immenses terrains afin de réaliser des parcs nationaux.
C’est avec lui aussi  (marié en 1901 à la fille du sénateur de Rhodes Island)  qui sera le généreux donateur du terrain où est construit le siège de l’Organisation des Nations Unies (ONU),  que s’ émancipe l’intérêt des Rockefeller dans la politique et les relations internationales, même si c’est surtout avec ses fils  qu’il se concrétisera : avec Winthrop et Nelson, tous deux gouverneurs alors que ce dernier est devenu Vice Président des Etats-Unis sous Gérald Ford de 1974 à 1977, mais sans doute encore plus profondément avec David. En effet, celui-ci, du Council on Foreign Relations, à la Commission Trilatérale et au Bilderberg group, organisations qu’il a toutes trois présidées, est avec Henry Kissinger un des princes majeurs de la géopolitique asymétrique de la seconde moitié du XXe. De la sorte,  c’est bien par son importance dans le monde des réseaux d’influence qu’il se distingue comme une personnalité politique majeure de la seconde moitié du XXe siècle.
(Voir pour beaucoup plus de détails et pour démonstration, l’analyse biographique que je lui consacre dans mon étude en profondeur du Council on Foreign Relations).

 

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Arrivée de David Rockefeller au sommet du Groupe de Bilderberg de 2003, à Versailles ; groupe dont il est le Président honoraire.
A ces réunions, participaient : Dominique de Villepin, Ernest Antoine Sellière, Jean François Copé, Frits Bolkestein, Pascal Lamy, Jean-Louis Gergorin, Pierre Lellouche, Henry Kissinger, Denis Ranque, Bertrand Collomb, Etienne Davignon, André Lévy-Lang, Jean-Claude Trichet, Richard Perle, Paul Wolfowitz, Robert Zoellick et beaucoup d’autres. (Photo Olivier Hoedman/ONG Corporate Europe Observatory)

 

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En 1914 est créé un puissant réseau d’influence (toujours très efficace aujourd’hui) sur proposition d’une résolution de la première National Foreign Trade Convention qui appelait à la création d’une « organisation pour coordonner les activités de commerce extérieur de la nation ». Le National Foreign Trade Council (NFTC) regroupait les plus grandes firmes de l’époque. Présidé par James A. Farell (Président d’US Steel) ce puissant lobby/laboratoire d’idées fut chargé de développer des analyses afin de positionner au mieux les Etats-Unis dans le cadre du commerce international de l’époque. Ainsi apparaît une réalité bien historique, celle de l’existence de réseaux collusifs par délégation de pouvoir de la part de l’administration publique (à l’image aujourd’hui du TransAtlantic Business Dialogue et de bien d’autres) qui considère que la sommes des intérêts particuliers des firmes motrices de l’économie, établit ipso facto l’intérêt général. Un scénario, qui fera florès par la suite et qui établit une confusion entre détenteurs du pouvoir économique privé et détenteurs du pouvoir politique public.
Ainsi est-on pris de vertige encore aujourd’hui à écouter Robert Zoellick ( nouveau président de la Banque Mondiale depuis 2007 et alors Représentant au Commerce des Etats-Unis) s’adressant aux membres du NFTC en 2002 (Cf fiche Global Leaders):

« Merci de tous vos efforts pour nous aider à la préparation de la réunion ministérielle de Doha. Le NFTC a effectué
une quantité énorme de travail pour favoriser le lancement des nouvelles négociations de l’OMC. J’ai été particulièrement
impressionné par vos efforts pour nous aider à définir des tarifs industriels. »

Robert Zoellick – Citation qui était placée en 2007 en chapeau de la page d’accueil du site de la NFTC. Précisons que son chairman est actuellement Dinesh Paliwal (président d’ABB) et que son président est William A. Reinsch, sous secrétaire au commerce extérieur sous l’administration Clinton et que ce réseau se targue de
défendre les intérêts des 300 plus grandes firmes des Etats-Unis. Liste des firmes membres disponible sur leur site.

Pardon pour cet anachronisme mais il me semble nécessaire pour montrer combien l’histoire des think tanks et des réseaux d’influence est importante pour comprendre notre modernité dans toute sa profondeur: non seulement des acteurs politiques fondamentaux trop souvent ignorés émergent à cette époque, mais de plus, le nouveau type d’organisation, d’expertise et d’influence qu’ils inaugurent interagissent profondément et durablement avec la sphère politique dès ce début du XXe et jusqu’à nos jours. 

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L’idée du président des Etats-Unis William Taft fût alors en 1910 de doter le gouvernement de son propre laboratoire d’idées afin à la fois de couper court aux critiques du BMR mais aussi afin de créer un groupe de réflexion chargé de fournir études et propositions afin d’éradiquer la corruption et le gaspillage auxquelles était sujette l’administration fédérale. Ce groupe de réflexion  rendit en 1912 un rapport de plusieurs centaines de pages dans laquelle il fit entre autres la proposition d’élaborer un budget national administré de façon transparente (une première à l’époque) qui de plus aurait pour mission de limiter les dépenses fédérales. Mais Taft, n’eut pas le temps de mettre en œuvre ce projet qui fût enterré par son successeur Woodrow Wilson. Les défenseurs de la politique invoquée par le rapport décidèrent alors pour le défendre de créer en 1916 à Washington un nouveau think tanks : l’Institute of Governmental Research (IGR). Ce réseau composé de conservateurs et de républicains, capitaines d’industrie et d’universitaires, tous pour beaucoup anciens membres de la « commission Taft » se dota d’un attaché de presse chargé de diffuser au mieux les idées et les analyses du groupe d’experts. Une stratégie, banale aujourd’hui pour un think tank, mais qui s’averra particulièrement efficace puisqu’ elle aboutit en 1921 à la mise en oeuvre des propositions de la « commission Taft » par le Président Harding, successeur de Woodrow Wilson ; la même année, fort de cette victoire, l’ Institute of Governmental Research fusionnait avec l’appui de la Carnegie Foundation avec l’Institute of Economics fondé en 1917 par Robert Sommers Brookings pour fonder la Brookings Institutions, think tank majeur du monde de l’influence en réseau, dont je traiterai dans la période suivante.

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premier réseau d’analyse géopolitique

Par ailleurs le conflit en Europe à partir de 1914 apporte avec lui un autre genre de mondialisation que celle du commerce: celle de la guerre menée avec tous les moyens industriels de l’époque. Une situation qui stimule l’analyse d’experts.
Ainsi l’entrée en guerre des Etats-Unis en 1917 motive la constitution d’un groupe d’experts de haut niveau afin de penser cette situation géopolitique. Walter Lippmann (1889-1974), alors âgé de 28 ans et brillant diplômé d’Harvard, qui s’occupe du recrutement définit ainsi sa méthode : « Nous écrémons la crème des experts les plus jeunes et imaginatifs». Rapidement un staff d’élite se constitue qui chapeauté par le Colonel Edouard M. House, et après la victoire de 1918, aura pour mission de préparer en amont et de conseiller in situ le Président Woodrow Wilson à la Conférence pour la paix de 1919 à Paris. (Cf. site CFR/history)
Se définissant comme un « incubateur d’idées », ce groupe appelé The Inquiry (l’enquête) deviendra en 1921 le fameux Council on Foreign Relations (CFR), incubateur aussi de nombre de directeurs de la CIA, de cadres de la haute administration états-unienne … et cible de nombre de fantasmes conspirationnistes, nous y reviendrons.
On prête à The Inquiry le fait d’avoir inspiré à Woodrow Wilson l’idée de la Société des Nations, la fameuse SDN, ancêtre de l’ONU. Ceci n’est pas assuré car nombre des experts de ce think tank ne partageaient pas la fibre internationaliste de Wilson. Par contre, il est indéniable que ce groupe d’experts a eu à le conseiller sur cette idée et sur sa mise en œuvre politique à Washington comme à Paris, son importance historique mérite donc d’être soulignée à cet endroit.

(Voir pour beaucoup plus de détails la fiche sur le Council on Foreign Relations – sur notre site)

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Pour clore sur cette période je voudrais mentionner la création du Twentieth Century Found en 1919, par le magnat des grands magasins Edward Filene qui offre ainsi un nouvel élan à la Cooperative League qu’il avait créée en 1911.

A retenir également, la création en 1914 en Allemagne par Bernhard de Harm de l’Institut Economique de Kiel dont les fonctions d’analyse, d’expertise et de prévision ont valu à cet organe toujours existant d’être reconnu comme un des plus importants d’Allemagne dans le rapport de 2004 « Etudes et Législations » de l’Assemblée Nationale. Présidé actuellement par Dennis Snower, ce think tank de facture socio libérale s’investit aujourd’hui dans trois programmes : Globalisation et croissance, Biens publics et politique économique (sous-titré : Réforme de la société providence !), et enfin Activités macroéconomiques et marchés financiers. On notera que cet institut délivre tous les ans un « prix de l’économie globale », on y trouve comme lauréats : Helmut Schmidt, Jacques Delors et le « Prix  Nobel d’ économie» Amartya Sen (créateur de l’IDH/Indice de Développement Humain).

3) Synthèse : les premiers éléments d’une géopolitique en réseau se  mettent en place.

Après cette étude qui porte sur ces 35 années charnières entre le XIXe et le XXe, quelques remarques s’imposent quant à l’émergence des réseaux d’influence dans l’espace politique mondial.
La première, c’est que pour l’essentiel ce nouveau genre de structure politique apparaît comme étant de tradition anglo-saxonne.
Ceci étant, je dois dire que je me demande de plus en plus si la prolifération des Ligues auxquelles on a assisté en France dans la seconde moitié du XIXe siècle ne mériterait pas d’être étudiée dans ce champ là. En effet je crois que ce déséquilibre anglo-saxon est en partie dû à une question de culture. L’étude des réseaux d’influence, cristallisée dans celle des think tanks est de tradition anglo-saxonne. De la sorte, nombre d’auteurs français adoptent une posture fortement influencée, pour ne pas dire répliquante de la tradition d’outre atlantique en la matière.  Je note aussi qu’aucun auteur ne précise pourquoi ce phénomène ne s’est pas  développé plus davantage en Europe. Peut-être est-ce tout bonnement parce qu’il n’y a pas été étudié en détail.     
Retenons donc en première analyse que ce phénomène se développe et fait culture aux Etats-Unis et de façon moindre en Grande Bretagne (pour la seule mais fondamentale Fabian Society) que toutes apparaissent sous les formes les plus diverses, qui plus est dans un contexte social difficile dans ces deux pays où les écarts entre richesse et pauvreté ont atteint un point critique tel que la société ne peut plus en supporter les termes sans toutefois pouvoir mettre en place une alternative politique redistributive. Dès lors, ces réseaux d’influence se présentent soit comme laboratoires d’idées (appelés think tanks après 1945) porteurs d’une alternative (Fabian), ou d’un projet politique (BMR, IGR) soit comme organisations philanthropiques se prétendant apolitiques mais dont le motif est à la fois de valoriser l’image de la grande entreprise et de faire pièce contre le socialisme montant. Ces fondations altruistes se proposent alors de combattre toute forme de misère mais sans en éradiquer les causes politiques, c’est là le cas de celles qui apparaissent aux Etats-Unis et qui disposent des moyens pharaoniques issus des fortunes colossales des magnats de l’industrie de l’époque : Russell Sage, Andrew Carnegie, John D. Rockefeller.

De toutes les façons, ces nouvelles structures apparaissent comme de nouvelles façons organisées de faire de la politique, qu’elles soient ouvertement militantes (Fabian, BMR, IGR) ou se prétendant apolitiques, comme les fondations philanthropiques, dont une des raisons d’exister était bel et bien de faire pièce contre la montée du socialisme. De plus, comme nous l’avons vu, en tant que think tanks, dès la Fabian en 1984, elles se présentent elles-mêmes comme laboratoires de pensée stratégique qui font primer les tactiques asymétriques de harcèlement sur les techniques politiques ouvertes, soumises au contrôle des électeurs. La Fabian, sans conteste est à ce sujet le prototype des réseaux d’influence modernes en tant qu’elle invente en l’expérimentant l’influence politique en réseau moderne: une stratégie oblique afin de faire passer des idées préalablement élaborées dans une posture d’expertise.
Dans une telle perspective, on remarquera qu’à l’époque le rôle des médias sur les populations est déjà apprécié puisque l’IGR se dote d’un attaché de presse dès 1916 afin de parfaire au mieux la diffusion de ses idées, alors même que ce type d’action ne sera théorisé que pendant l’entre deux guerre par Walter Lippmann (recruteur de The Inquiry) quand il écrira « Public opinion » en 1922, ouvrage dans lequel il conceptualisera cette notion essentielle dans la relation politique /médias/ citoyens, puis par Edward Bernays, grand théoricien des services de relations publiques dans son ouvrage : « Propaganda, comment manipuler l’opinion en démocratie », paru en 1928 et qu’il ouvre comme suit :


« La manipulation consciente, intelligente, des opinions et des habitudes organisées des masses joue un rôle important
dans une société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment
un gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays. »

Edward Bernays - Propaganda, comment manipuler l’opinion en démocratie – 1928
Réédition Editions Zones-La découverte- 2007 – p31
 Préface (passionnante) de Normand Baillargeon
 NB : Lippmann a exercé une influence prépondérante sur Bernays  

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Autre caractéristique de tous ces organismes précurseurs : l’omniprésence de l’expertise, avec ancrée la profonde conviction que l’introspection scientifique est la base de la fonctionnalité de toute action. Pour cellectionner, ceux que l’on estime être les meilleurs on crée ou finance les conditions de leur cursus en subventionnant nombre d’Universités, d’Instituts et de programmes scientifiques (cf. Russell Sage, Carnegie, Rockefeller et Solvay) puis on sélectionne les meilleurs des experts dans les centres les plus prestigieux selon le principe de l’écrémage de la crème (cf CFR-Lippmann) pour les attirer vers les think tanks. Une part non négligeable de la formation des élites et sa pérennisation est ainsi assurée.
C’est aussi une bonne partie de  la dynamique des sciences de la première moitié du XXe qui est redevable des politiques menées en la matière par les magnats des affaires de cette époque, au travers de leurs fondations et instituts, notamment dans les domaines de la physique atomique, de l’astrophysique, de la biologie moléculaire et de la génétique.
Plus généralement c’est également à la diffusion de la culture par la construction massive de bibliothèques (Carnegie et Solvay) et à la diffusion des Arts modernes (Carnegie et Rockefeller) que se consacrent les fondations du début du XXe.
Dans tous ces domaines elles ont donc joué un rôle prépondérant dans l’élaboration de notre évolution scientifique, culturelle et politique.
De plus, dès cette première période originelle, ces réseaux acquièrent une dimension géopolitique indéniable soit dans la mesure où les missions qu’ils se donnent s’inscrivent dans le cadre des relations internationales : actions en faveur de la paix pour la Carnegie found, volonté d’expertise diplomatique pour The Inquiry-CFR, ou stratégie nationale afin de peser sur le commerce international pour le NFTC.
Rajoutons que le caractère international des programmes des grandes fondations du fait de leur importance sur le terrain concernant de vastes zones géographiques, liée à leur ambition sociétale et aux moyens colossaux privés dont disposent ces organismes philanthropiques. Cela les constitue de fait comme des acteurs géopolitiques majeurs dont les facteurs de puissance sont comparables à ceux de nombreux Etats sur le sol desquels ils interviennent tout en étant de nature différente : privée et transnationales, ce que j’appelle asymétrique de second niveau. De fait, cette époque montre combien déjà analyse géopolitique et action géopolitique sont imbriquées (cf. Fd. Carnegie et the Inquiry/CFR), une constante que nous allons retrouver par la suite.
De la sorte, les réseaux d’influence de ce début de XXe, s’ils sont de nouvelles formes organisées afin de faire de la politique, le sont aussi et déjà au plan international dont ils s’efforcent et se donner les moyens théoriques et pratiques d’analyser les termes afin de peser sur eux (Carnegie & Rockefeller Found, The Inquiry-CFR, NFTC).

Une dernière chose est frappante dans cette période originelle de trente ans : elle constitue déjà un début d’inventaire des principales variétés de réseaux d’influence, puisque l’on y trouve déjà : ( cf. Les différentes variétés de réseaux d’influence)

 Apparaissent aussi et déjà de nombreux et savants métissages de ces variétés qui rendent ce terme beaucoup plus préférable à celui de catégorie tout en rendant l’analyse des réseaux d’influence infiniment complexe et toute taxinomie relative et temporaire.
                           
Manquent encore à l’appel (mais peut-être est-ce aussi par manque de données en ma possession) : la seconde forme de réseau collusif que j’appellerai réseau collusif par positionnement individuel : il s’agit là de structures dont après analyse de position des membres qui composent son directoire (présidence et conseil d’administration ou d’expertise scientifique) on s’aperçoit qu’il recouvre des fonctions de haute gouvernance dans les fonctions politiques (et de haute administration) dans le secteur public (national et/ou multilatéral) et dans le secteur privé. Cette bivalence (cet effet de « double casquette ») de nombre de ses membres n’est pratiquement jamais signifiée dans les présentations biographiques telles que présentées par les think tanks et réseaux d’influence. C’est toujours les implications et les intérêts dans le monde de l’entreprise privée qui y est soit relativisée, soit passée sous silence. De fait la dimension collusive y devient seulement limitée à la lecture de la liste renseignée laconiquement par le think tank.   Mais lecture toujours riche d’enseignements en matière de collusion ou déjà expertise privée et expertise publique se trouve croisée et confondue avec intérêts publics et intérêts privés. Rappelons aussi que ces structures de politique furtive sont financées par des firmes privées (ce qui est toujours présenté comme un gage d’indépendance !), quand elles ne le sont pas aussi par des fonds publics.
Manquent aussi encore à l’appel : les réseaux clones, réseaux ayant un même objectif qu’ils travaillent de façon associée, et enfin les réseaux de réseaux : réseaux d’influence composés chacun de l’association de plusieurs autres réseaux.

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De fait, les 5 variétés qui apparaissent entre 1884 et 1919 peuvent être considérées comme l’ossature principale à partir de laquelle vont se multiplier, se diversifier, se spécifier et se spécialiser les réseaux d’influence de par le monde jusqu’à aujourd’hui dans un contexte géopolitique changeant qu’ils ont déjà contribué à sculpter. Une profusion de réseaux qui constitue un espace politique à part entière, un espace d’élaboration d’idées et de prise de décision où tendent à interférer pouvoir public de la haute administration et pouvoir privé de la haute entreprise sans toutefois que l’on puisse encore parler de collusion aboutie, ceci étant sans doute dû au fait que ces réseaux apparaissent à cette époque dans un contexte politique marqué par la corruption et à laquelle ils se proposent de faire pièce selon des stratégies diverses.
Un nouvel espace politique réticulé donc, et donc aussi un nouvel espace sociologique offrant l’opportunité de carrières professionnelles de haut niveau socioculturel. Tous facteurs favorisant l’avènement de nouvelles élites politiques dont le rôle sera aussi à considérer dans leur évolution historique en regard du processus démocratique, à la fois cible et grand exclu du pouvoir politique qui se constitue par ces premiers réseaux d’influence.  

Pour ma part, et pour conclure, il ressort de tout cela que ces nouvelles élites en formation de 1884 à 1919 ont déjà commencé à réaliser ce qu’ Edward Bernays a formulé en 1928 dans sa théorie de la propagande à l’usage de la direction d’entreprise et de la classe politique :

« En effet, la puissance économique entraîne souvent dans son sillage l’autorité politique, et l’histoire de la Révolution industrielle montre comment la première est passée du trône et de l’aristocratie à la bourgeoisie. Le suffrage universel et la généralisation de l’instruction sont ensuite venus renforcer ce mouvement, au point qu’à son tour la bourgeoisie se mit à craindre le petit peuple, les masses qui, de fait, se promettaient de régner.
Aujourd’hui, pourtant, une réaction s’est amorcée. La minorité a découvert qu’elle pouvait influencer la majorité dans le sens de ses intérêts. Il est désormais possible de modeler l’opinion des masses pour les convaincre d’engager leur force nouvellement acquise dans la direction voulue. Etant donnée la structure actuelle de la société, cette pratique est inévitable. De nos jours la propagande intervient nécessairement dans tout ce qui a un peu d’importance sur le plan social, que ce soit dans le domaine de la politique  ou de la finance, de l’industrie et de l’agriculture, de la charité ou de l’enseignement . La propagande est l’organe exécutif du gouvernement invisible. »

Edward Bernays - Propaganda, comment manipuler l’opinion en démocratie – 1928
Réédition Editions Zones-La découverte - 2007 – p39
Préface (passionnante) de Normand Baillargeon

Propagande qui, à la lecture de l’ouvrage de Bernays, peut prendre des formes plurielles fondées sur la conviction d’une sorte d’altruisme éclairé et au nom duquel les élites convaincraient la population citoyenne de leurs vues (présupposées efficaces et fondées) combinant les intérêts particuliers des élites comme bienfaitrices de l’intérêt général. Ainsi, la nécessité de la propagande est de prémunir les élites du suffrage universel , jugé déstabilisateur, tout « en faisant de la politique autrement » .

Il est vrai que la propagande n’a pas bonne presse aujourd’hui mais sa forme moderne développée par les leaders politique ou économiques est plus perverse, car elle se cache derrière un mot qu’ils ont sans cesse à la bouche : celui de « Pédagogie », et dont cette première étude historique que je propose, constitue les premiers éléments conceptuels de son histoire.
Par ailleurs, et on l’aura compris, point de posture anti-élites dans tout cela car la constitution des élites est consubstantielle à celle de Démocratie, il s’agit au contraire d’éclairer et d’interroger leur histoire, afin que l’humanité ait, autant que faire ce peut, une juste et profonde idée de son passé de façon à ce qu’elle maîtrise au mieux la réflexion préalable à l’inflexion de son destin.  

Patrick Gatines/ 28 janvier 2008


 
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(1) Stepen Boucher & Martine Royo - Les think tanks cerveaux de la guerre des idées / préface de Pascal Lamy –– Ed Le Félin – 2006- p 35, où figure un tableau représentant selon les spécialistes * « les quatre variétés principales de think tanks ». De fait n’y figurent ni le réseau opérationnel,  ni le réseau collusif, ni les réseaux clones ni le réseaux de réseaux, quatre variétés que j’ajoute, car indispensables pour aller au fond du sujet et pour comprendre à la fois nombre de décisions politiques et d’évènements transnationaux aujourd’hui, mais aussi pour apprécier l’organisation de cet espace politique réticulé qu’est celui des réseaux d’influence.
* Les spécialistes auxquels se refèrent Boucher & Royo sont James Mac Gann & Kent Weather (Think tanks and civil Societies :  Catalysts for action - New Jersey –Transaction Press – 2000) et Carol Keiss (Organizations for Policy analysis: helping government think, Newbury Park – Sage – 1992) mais aussi Richard Haass (actuel Président du Council on Foreign Relations et Administrateur du Centre for European Reform) – The role of think tanks in US foreign Policy - US foreign policy agenda vol 7 n°3 de novembre 2002.